Treizième opus pour Il Salotto le bien nommé. Ce disque évoque dans sa pleine réussite, l’esprit des salons qui faisaient courir tout ce que Paris comptait de compositeurs, de noms illustres du chant, de virtuoses instrumentistes mais également, les littéraires, les peintres, leur égérie et tout ce qui définissait la capitale française comme le centre culturel de l’Europe.
Comme le décrit la remarquable préface de Richard Osborne, Rossini, après avoir mis l’Europe à ses pieds, est solidement ancré dans la vie parisienne. Nous ajouterons qu’au-delà d’un Guillaume Tell en forme d’adieux, Gioacchino incarne encore une autorité incontournable pour tout compositeur désireux de se frayer un chemin de choix. Cet adoubement se prolongera bien après la carrière officielle du compositeur. Après son retrait, ses œuvres représentèrent longtemps encore, un pourcentage effrayant des affiches parisiennes, bien au-delà des murs du Théâtre des Italiens. Son influence se manifestera notamment dans les soirées musicales qu’il tiendra avec la complicité de sa deuxième épouse, Olympe Pélissier, en leur appartement de la Chaussée d’Antin. Ces salons furent d’une importance capitale pour les artistes. Une certaine histoire ne désirant en retenir que l’effervescence bon enfant, épicurienne et petit bourgeois à laquelle, par un tout petit bout de la lorgnette, on tente de réduire Rossini (le fameux mythe du Maestro paresseux). La convivialité réelle de ces lieux ne doit cependant pas dissimuler que ces salons étaient le théâtre où se jouaient carrières, désignations et donc, bien des enjeux sociaux et financiers. On pouvait y croiser les Auber, Meyerbeer, Liszt, Thomas, jusqu’à Verdi ou même de manière plus surprenante, un certain Wagner… Les plus illustres gosiers venaient y chanter après avoir enfilé matinée et opéra en soirée. Ainsi, Alboni, Grisi, les Marchisio, la Patti bien entendu mais aussi, les jeunes filles de bonne famille où il était de bon ton de recevoir en son trousseau, une solide formation musicale. Ceci explique au sein des Pêchés de vieillesse, des niveaux sensiblement différents. Certaines pages de tessiture modeste, réclamant davantage d’esprit que de vocalità, tandis que d’autres, nettement plus impérieuses dans leur nécessité, n’ont rien à envier à certaines arie lyriques passées à la postérité.
Le présent disque reflète fidèlement cette disparité bigarrée au départ de la gourmandise des sens qu’éveille immanquablement un opus d’Opera Rara. De l’objet agréable à manipuler, aux notices d’un réel intérêt, une iconographie judicieuse, tout chez la firme anglaise participe à ce que devrait être le support visuel d’un disque : un premier vecteur d’informations, de formation à un voyage musical et non pas, un énième bombardement publicitaire qui à force de superlatifs, a fini par tout galvauder. La firme pousse le souci du détail jusqu’à mettre à disposition sur son site, les partitions abordées sur son disque (1). Générosité de timing, enfin, à quelques broutilles près, une adéquation des œuvres dévolues à chacun.
Malcolm Martineau s’impose comme le chef de file de cette joyeuse bande. Au travers de son travail discret mais personnalisé, on salue bas le travail ingrat de ces amoureux de la voix, consacrant leur énergie et sans doute, une part de leur reconnaissance personnelle à mettre d’autres en valeur. Dans le soutien partenaire ou dans sa capacité à traduire les impertinences harmoniques dont Rossini fit usage, Martineau est simplement remarquable. Aucune place à une quelconque lassitude au sein des enchaînements de mélodies, duos et ensembles. On salue les touches picturales de Nicolas Bosworth (harmonium) ou d’affectueux paternalisme de Brindley Sherratt (La Notte di San Natale). Hormis quelques tensions (Le Chant des Titans), le Geoffrey Mitchell Choir délivre de belles surprises, culminant dans un Toast du Nouvel an idéal de pétillement spiritueux. La seule petite interrogation nous provient de Catherine Wyn-Rogers dont nous nous expliquons mal la présence. Son office aurait pu être rendu, par exemple, par Mireille Delunsch appelée sans doute dans un souci idiomatique tout francophone. Rien d’indigne ou de rédhibitoire loin de là, d’autant que la mezzo ne s’attaque pas à la face nord de l’Everest, mais, les moyens et leur utilisation privent ces pages de la qualité indispensable à l’aboutissement de ces instantanés : la faculté en un moment de croquer un trait d’humour, de tendresse ou d’élégie. Au lieu de nous inviter à la narration, Wyn-Rogers ne peut dépasser la récitation. Ici, cela n’est guère dommageable, car nous le répétons, ces pièces n’étaient pas toujours composées à l’intention de chanteurs surdimensionnés. Se pose, plus largement et de manière récurrente pour Opera Rara, le dilemme de trouver un équilibre entre l’effort louable d’afficher des artistes nationaux et la volonté de mettre tout en œuvre pour réunir l’affiche optimale pour un projet… Mireille Delunsch, tout en se débattant avec les imbroglios d’une émission chaotique servant une voix à la phonogénie impossible, démontre une fois encore, son esprit de conteuse. De plus, le second degré dont elle sait aisément parer ses intentions, est ici pleinement efficace. Jennifer Larmore et Lawrence Brownlee se disputent à belles dents, la part du lion. Tous deux enlèvent définitivement l’enthousiasme. Grâce à leur expérience (Larmore) ou pleine possession de moyens glorieux (Brownlee), ils se voient attribuer les pièces les plus jubilatoires (A Grenade – Larmore) ou périlleuses (superlatif Addio ai viennesi – Brownlee). C’est avec une tendresse intacte que nous avons retrouvé la belle Jennifer. Malgré une patine des saisons désormais audible et quelques tics qui en énerveront plus d’un, Jenny conserve sa faculté à vous ravir le cœur en un instant et puis surtout, son Rossini, elle y est chez elle et cela s’entend ! Quelle maison de disques aura la bonne et urgente idée de faire graver à Lawrence Brownlee, son premier récital d’airs rossiniens ? En attendant, le ténor américain au fil de ses quelques pages, démontre son insolente progression depuis quelques saisons, expliquant la place qui est désormais la sienne au niveau mondial parmi les rossiniens, une des toutes premières. Emotion chez Brownlee, l’émission saine d’une des plus belles voix du moment, une virilité exempte de toute nasalité, mais surtout, une simplicité d’être, une générosité et cette capacité à parer voix et mots des couleurs les plus tendres, opulentes ou vaillantes.
Enorme coup de cœur pour un Salotto comptant parmi les plus aboutis et que chérira le mélomane possédant déjà les mélodies de Blake, Horne et Bartoli.