Du 8 au 14 mars, elle sera à l’Opéra de Tours la Pamina d’une Flûte enchantée dont tous les grands rôles seront chantés par des artistes français, ce qui n’est déjà pas banal. Ceux qui l’avaient entendue lors des concerts de fin de cycle au CNSMDP pouvaient se douter que Marie Perbost ne pêcherait pas non plus par manque d’originalité pour son premier disque, qui arrive vraiment bien tôt dans une toute jeune carrière. Cela dit, la soprano était l’an dernier l’une des trois artistes proposées au titre de Révélation lyrique aux Victoires de la musique, et elle a remporté dès 2015 le Grand prix au concours Nadia et Lili Boulanger, récompense partagée avec la pianiste Joséphine Ambroselli. Pour Une jeunesse à Paris, puisque tel est le titre de ce récital discographique, les deux complices se sont adjoint la participation de cinq instrumentistes, solistes des Frivolités Parisiennes, ce qui permet de varier fort agréablement les ambiances, exactement comme varient aussi les styles. Trois grandes tendances s’illustrent ici : la mélodie, de Debussy à Poulenc ; l’opérette, depuis Hervé qu’on présente parfois comme le véritable fondateur du genre, jusqu’à Messager ; la chanson, des années 1900 à la veille de la Seconde Guerre mondiale. La chanteuse parviendra-t-elle à s’épanouir dans ces trois voies ?
Ce bel éclectisme nous vaut parfois des transitions un rien brutales lorsqu’on passe instantanément des larmes au rire. On trouve aussi du très connu et du parfaitement ignoré. La plus délicieuse découverte, c’est assurément le duo tiré du Petit Chaperon rouge de Gaston Serpette, compositeur mort en 1904, dont le Palazzetto Bru Zane nous avait révélé un autre duo, extrait de La Demoiselle du téléphone. Le « duo des bijoux » retenu par Marie Perbost est une désopilante parodie littéraire et musicale du fameux air du Faust de Gounod. « Ah, s’il était ici… s’il me voyait ainsi, Mieux que la sous-préfète, il me trouverait faite » : on devine aisément que ce Chaperon-là n’a pas grand rapport avec celui de Perrault. Dommage que le ténor Paco Garcia soit un partenaire terriblement insipide, là où il aurait fallu au contraire mettre en relief l’humour d’un texte qui souligne le toc des bijoux en question (« Bracelets en ruolz et bagues en doublé », « épingle en faux diamant », « broche en simili or »). Chez Hervé, ce sont des titres fort peu fréquentés qui ont fourni les trois airs ici enregistrés : la coquinerie en paraît bien gentiment démodée. D’Offenbach, à l’inverse, c’est une page presque trop célèbre qui a été retenue : pourquoi avoir pris un air destiné à Hortense Schneider, dont Marie Perbost n’a pas vraiment la voix, alors que tant d’autres morceaux du même compositeur attendent encore leur heure ? De Lecocq, la valse des Cent Vierges finira par devenir un classique, depuis que Sonya Yoncheva l’a inscrite à son répertoire et la chante chaque fois qu’elle en a l’occasion, même au gala des 350 ans de l’Opéra de Paris. Quant à Messager, il est toujours délicat de prétendre à la succession d’Yvonne Printemps dans L’Amour masqué : se refusant judicieusement à toute imitation, l’interprète ne parvient pas pour autant à trouver vraiment un ton personnel.
La remarque vaut aussi pour un autre air étroitement associé à l’ex-Madame Guitry, « Les Chemins de l’amour », première plage du disque. Du côté de la chanson, où l’on remarque que la soprano renonce à rouler les R, elle peut compter sur ses talents d’actrice, et n’hésite d’ailleurs pas à passer au parlé pour certaines répliques. Pour « La Tour Eiffel », qu’avait jadis enregistré Hélène Delavault (et dont il manque ici un couplet), Marie Perbost s’invente une voix de diseuse solidement ancrée dans le grave. Et l’on s’étonne qu’elle n’ait pas eu recours au même registre pour la fameuse « Complainte de la scène » de Kurt Weill, où sa « voix lyrique » plus aiguë donne un côté étrangement éthéré au texte lugubre de Maurice Magre.
Dans la mélodie, enfin, c’est une fort belle version des Banalités de Poulenc que l’on trouvera ici. Le compliment n’est pas mince, compte tenu de la célébrité de pages comme « Hôtel » ou « Voyage à Paris ». Chez Debussy, l’on est d’abord séduit par la sensualité des premiers instants de « C’est l’extase », mais le chant reste comme prisonnier d’une certaine langueur. Et c’est finalement un problème de rythme qui se pose ici, et puisque ce disque a pour point de départ « une commande de récital destiné à la scène », peut-être aurait-il fallu, dans un monde idéal, capter l’écho d’un concert porté par la présence avec le public, là où les conditions du studio se prêtent moins bien à ce dialogue avec l’auditeur qu’évoque justement Marie Perbost dans son texte de présentation.