Cette réédition d’un enregistrement publié alors que Sutherland était à son zénith et que Pavarotti y accédait vaut évidemment par la présence de ces deux chanteurs devenus des références désormais historiques dans leurs rôles. A l’impact de la virtuosité de l’une et de l’éclat de l’autre, s’ajoute l’atout de la direction exemplaire de Richard Bonynge.
La musique de La Fille du Régiment, parfois considérée avec condescendance, réclame en fait de ses exécutants une intelligence du texte et un respect des intentions qui ne souffrent pas le plus petit écart tant la partition en est délicate. Guettés à chaque instant par le risque de grossir, d’épaissir une écriture dont la séduction est liée aux trouvailles mélodiques mais plus encore au dosage des couleurs, des volumes et des rythmes, chef et musiciens restituent admirablement les climats sans jamais sombrer dans le pompeux, le pompier ou le sirop. Un seul mot convient pour cette interprétation : elle est l’élégance même, celle propre à l’opéra-comique français dont Donizetti a perçu l’esprit.
La conception même de l’enregistrement y contribue ; les dialogues sont réduits de manière drastique, voire excessive dans le deuxième acte où la révélation faite par Tonio est carrément supprimée et où le rôle de la duchesse frôle l’inexistence. Mais si l’on perd ainsi les effets comiques de certains sous-entendus, en particulier dans le premier acte, leur charge grivoise disparaît aussi. Cependant la continuité dramatique est globalement préservée, et l’écueil que constitue notre langue pour des chanteurs à qui elle n’est pas familière s’en trouve d’autant esquivé.
La prise de son est bonne et sert bien les interprètes, mais certains effets sont peut-être grossis par les micros. La marquise de Monica Sinclair semble en rajouter dans un personnage déjà haut en couleurs. Le Sulpice de Spiro Malas est fermement dessiné mais moins appuyé et bien chantant. Quant au Tonio de Luciano Pavarotti, au-delà d’une prononciation du français rarement parfaite, il ne peut que séduire par la fraîcheur du timbre, l’homogénéité de la voix et le rayonnement des aigus. Et même les traces d’accent dont il ne se défera jamais conviennent ici parfaitement au personnage du plébéien.
On a déjà tout dit de la Marie de Joan Sutherland. Captée à l’apogée de la cantatrice, cette prestation constitue un modèle indépassé par la perfection technique ; au deuxième acte la leçon de chant est d’une virtuosité et d’une musicalité enivrantes. Mais le personnage n’est pas une somme de difficultés vocales victorieusement résolues : il vibre des émotions et du tempérament que lui communique la Stupenda, dans une de ses incarnations préférées, et que restitue très heureusement cet enregistrement.
Accompagnée du livret bilingue (français-anglais) précédé d’un texte de présentation et du synopsis en trois langues (les mêmes plus l’allemand) cette réédition d’un document indispensable est particulièrement bienvenue.
Maurice Salles