La vie et la carrière d’Alessandro Melani sont assez bien connues des musicographes. Ce natif de Pistoia, issu d’une famille de musicien (il eut la bonne fortune de ne pas embrasser, comme quelques-uns de ses frères, la carrière de castrat), occupa divers postes avant de se fixer à Rome en 1669. D’abord en poste à Sainte-Marie-Majeure, il fut nommé en 1672 à Saint-Louis-des-Français, et bénéficia de l’amitié bienveillante de quelques grands aristocrates romains – notamment les Pamphili et les Colonna.
De là une œuvre partagée entre musique sacrée et musique profane, l’une portant la trace de l’autre. Melani devint même un des symboles du style « abâtardi », c’est-à-dire de la musique sacrée reprenant des procédés de composition propres à la musique profane. Ce trait culmina dans une série d’oratorios écrits dans les dernières décennies du XVIIe Siècle, à l’instigation notamment du cardinal Pamphili, bien connu comme protecteur de Haendel.
Bien des œuvres sont perdues, ou conservées aux tréfonds de bibliothèques romaines sans numéro d’archivage. Luca della Libera, auteur de la riche notice du présent disque et continuateur du travail de Jean Lionnet, est allé chercher dans les archives de Sainte-Marie-Majeure et d’autres églises romaines, et a transcrit nombre de manuscrits d’époques diverses pour en permettre l’exécution.
Où l’on aurait pu entendre une musique à la spiritualité convenue, on découvre des splendeurs de ferveur sacrée.
Loin de dispenser une lumière étale, ces motets cultivent un mélisme extrêmement expressif, et un art savant du dialogue des voix, dont le Laudate Pueri est un des meilleurs exemples. La voix de la soprano s’y épanouit en d’insinuantes vocalises puis entame un dialogue avec un chœur plus terrien jusqu’à un Amen épanoui.
On admire la délicatesse de l’harmonie et l’art consommé avec lequel Melani distribue les timbres vocaux : écoutez la scansion de Vivere sine te, cette palpitation qu’on ne retrouve guère que dans les madrigaux amoureux du temps quoique pas toujours au même degré de vitalité (que l’on songe à ceux d’Alessandro Scarlatti qu’enregistra en 2007 le même Alessandrini).
La lumière tendre, l’intensité sans excès de gravité, la précision du trait sans rigidité : voilà ce qui caractérise cette musique restituée avec une incomparable fraîcheur, et qu’on croirait presque entendre résonner encore sous les ors de Saint-Louis tant est grande sa consonance avec l’esprit de la Rome baroque. A peine découverte, elle nous est déjà familière.
Sylvain Fort