Compte tenu de l’ignorance quasi-totale dont elles font l’objet hors du monde anglophone, on est toujours surpris par l’extraordinaire popularité des opérettes de Gilbert et Sullivan. Certes, le Musée d’Orsay a eu l’excellente idée de programmer Patience l’année dernière (voir compte rendu), mais les représentations de The Pirates of Penzance ou de HMS Pinafore ne sont pas légion sur les scènes françaises. Notre pays reste apparemment réfractaire au charme d’œuvres qui n’ont certes ni la verbe satirique ni la force musicale des créations d’Offenbach, mais dont la musique fort entraînante pourrait néanmoins enchanter le public.
The Mikado (1885), dont Mike Leigh relate la genèse dans son excellent film Topsy-Turvy, est peut-être l’œuvre de Gilbert et Sullivan la plus souvent jouée, ce que reflète le nombre d’enregistrements diponibles : une bonne douzaine de vidéos, la plupart exclusivement visible en Zone 1, et presque autant d’intégrales audios, avec ou sans les dialogues, sans oublier Dame Joan herself chantant le trio « Three Little Girls from School Are We », avec Dinah Shore et Ella Fitzgerald (!) ou avec deux collègues des Antipodes sur le disque Sutherland Rarities. Le présent DVD nous vient d’Australie, et la mise en scène de 1985 qu’il immortalise propose un juste milieu entre le Japon de carton-pâte des versions plus anciennes (celles de 1966 et de 1973, toutes deux avec l’inégalable Valerie Masterson en Yum-Yum) et la transposition radicale choisie par Jonathan Miller pour l’ENO en 1987, qui situait l’action dans une station balnéaire anglaise de l’entre-deux-guerres. Ici, tout nous montre bien que l’action se situe à la fois au Japon et en Grande-Bretagne, avec ces costumes mi-victoriens, mi-nippons. on remarque en particulier les kimonos associés au chapeau melon/parapluie des employés de la City, joints à de splendides favoris ; quant au maquillage du Mikado et de Katisha, il évoque certes le kabuki, mais aux couleurs du drapeau du Royaume-Uni.
Pour le public de Melbourne, il n’y a pas à hésiter, la star du spectacle est l’acteur Mitchell Butel, plus habitué au music-hall qu’à l’opéra, mais après tout, le rôle comique de Ko-Ko a déjà été tenu par les personnalités les plus variées, depuis Groucho Marx pour la Bell Telephone Hour en 1960 jusqu’à Eric Idle, des Monty Python, à l’ENO. Sa voix n’est pas spécialement agréable à entendre, mais là n’est pas le propos, et il se taille un franc succès avec son air de la « petite liste », dont le texte est intégralement réécrit, conformément à l’usage, pour s’adapter à l’actualité.
Piquante Yum-Yum, Taryn Fiebig fut une Musetta remarquée (le DVD vient de sortir) ; elle est ici une adorable petite peste, dont la mise en scène dément l’innocence conventionnelle proclamée par le livret pour en faire un personnage beaucoup plus déluré. Bien qu’un peu légère, elle se montre tout à fait à la hauteur d’un rôle qui n’exige réellement rien d’autre que du charme. Jacqueline Dark a interprété en Australie à peu près tous les rôles de mezzo, les grands (Carmen, Donna Elvira, le Compositeur d’Ariane à Naxos) comme les petits (Marcellina, Suzuki, Annina du Rosenkavalier) : la voix manque un peu de personnalité, et n’est sans doute pas ce contralto auquel Sullivan réservait souvent les rôles de femmes laides et âgées. Les autres membres de la distribution s’acquittent dignement de rôles qui sollicitent plus leur diction et leur jeu d’acteur que leurs capacités vocales, avec une mention spéciale pour le superbe timbre de basse de Richard Alexander.
Pour qui souhaiterait découvrir l’œuvre de Gilbert et Sullivan, cette version constitue sans doute une excellente introduction. Justement, David Stern, à la tête d’Opera Fuoco, dirigera une unique représentation du Mikado le 25 mai au Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines, avec une distribution largement anglophone (et un homme dans le rôle de Katisha !), dans le cadre d’une action pédagogique menée avec les enfants de la municipalité.