Pour un(e) artiste dont la carrière repose sur l’interprétation de rôles lourds, voire meurtriers, il est toujours assez courageux de se plier à l’exercice du récital de mélodie, qui suppose une tout autre discipline vocale. On n’attend pas forcément qu’une Ortrud ou une Nourrice de La Femme sans ombre puisse aussi s’illustrer comme Liedersängerin. C’est pourtant ce que tente de prouver Michaela Schuster avec ce disque.
Bien sûr, elle ne s’éloigne guère des compositeurs où elle brille à la scène : aux Wagner et Richard Strauss qui constituent l’essentiel de son répertoire d’opéra répondent ici trois noms également associés au post-romantisme le plus opulent, plus un qui lui permet de s’aventurer un peu au-delà, puisque Kurt Weill semble plutôt tourner le dos à tous ces messieurs. Cela dit, les Korngold et Max Reger enregistrés ne sont pas si courants au disque ou en concert. Quand à Mahler, il n’est pas ici représenté par l’un de ses cycles les plus fréquentés, mais par des Lieder de jeunesse, où l’on croit parfois déjà entendre les Lieder eines fahrenden Gesellen, comme chez tel Korngold passe l’ombre du Mariettas Lied de La Ville morte.
Le programme mélange ces quatre compositeurs, Erich Wolfgang Korngold se taillant la part du lion (le nom du disque est le titre d’une de ses mélodies), immédiatement suivi par Reger. Les mélodies sont en fait groupées selon des thèmes : Calme, Agitation, Allées et venues, Disparition et existence, Commencement et fin, Proche et lointain. Evidemment, les songs de Weill tranchent un peu par leur style, mais on pourrait en dire autant des lieder « naïfs » inspirées à Mahler par les textes du Knaben Wunderhorn ou des exquises chansons enfantines de Reger (« Mausefangen », « Zwei Mäuschen »).
Surtout, la mezzo sert les unes et les autres avec la même intégrité, sans chercher à s’inventer une voix à la Lotte Lenya ou à la Ute Lemper pour les Kurt Weill. Michaela Schuster conserve son timbre naturellement sombre et ne susurre pas, la bouche collée au micro : ni excès de décibels, ni allègement intempestif. Les rôles exigeants ne semblent pas avoir nui à la santé de la voix : à peine entend-on un peu de vibrato sur quelques notes finales aiguës. On sent que ses moyens se déploient librement, même s’il n’y a pas ici à passer par-dessus l’orchestre. La dernière plage, présentée comme une sorte de bonus, confirme d’ailleurs l’impression ressentie ici et là : ce programme a bien été enregistré en public. Le pianiste Matthias Veit est un partenaire de choix, qui rend parfaitement justice à la complexité harmonique de la plupart de ces partitions, dont on admire aussi l’enchaînement parfois immédiat, comme si ces plages étaient portées par un seul souffle, sans véritable rupture de la continuité musicale.