Dès l’air de Katiusha, « Dio pietoso », extrait du Rizurrezione d’Alfano, Vannina Santoni montrer la richesse de sa palette : de longs phrasés très incarnés, des sauts de notes intrépides, dans un air à l’ambitus très long, où, surtout, elle privilégie la couleur (pathétique) et le legato, avec ce slancio, cet élan qui est émotion vraie. Le monde vériste lui est naturel, et d’ailleurs l’écriture de l’air de La Wally qui vient ensuite est assez semblable, avec encore davantage de grands écarts. Vannina Santoni s’attache à y montrer sa voix sous une autre lumière, à l’éthérer, toujours avec une palpitation, une sensibilité à fleur de peau, dont chaque note se nourrit.
Aérienne, elle l’est aussi dans le trop fameux « O mio babbino caro », auquel elle parvient à donner une nouvelle fraîcheur, avec ces qualités de naturel, de simplicité, qui sont peut-être sa marque. Moins fréquenté, le « Se come voi piccina io fossi » de Le Villi, fait entendre une ligne de chant d’une souplesse grisante, un frémissement de vraie puccinienne.

Une Desdémone magnifique
Vannnina Santoni est d’origine à la fois corse et russe, de là peut-être que la passion soit son domaine d’élection. La grande scène de Desdémone de l’Otello de Verdi en témoigne, dans le beau décor orchestral que lui offre l’Orchestre National de Lille dirigé par le chef canadien Jean-Marie Zeitouni. Qui, lui aussi, installe l’intériorité de ce long moment suspendu.
Le timbre mûr, naturellement dramatique, inscrit la chanson du saule dans un climat recueilli, douloureux, inquiet. Écoutez la manière dont elle allège les « Salce, salce, salce » et leurs effets d’écho, avec quelle légèreté elle s’envole vers le haut de sa tessiture, sans perdre cette assise profonde, charnelle, qui est vérité. Avec subtilité, Zeitouni dose les accélérations légères, les respirations, puis s’alanguit rêveusement. Les grandes descentes chromatiques n’ont rien de démonstratif, elles ne sont que sensibilité. Comme les demi-teintes des adieux à Emilia, le pressentiment, le désespoir, indiqués par d’infimes nuances, avant le grand cri « Addio! », un la dièse abrupt, déchirant.
Puis vient l’Ave Maria, modèle de legato, de maîtrise du cantabile, qui n’est que sincérité, qu’abandon, que fragilité. Le la bémol final, mezza voce, est pur sentiment.

Oui, c’est peut-être le naturel de l’émotion qui fait le prix de ce récital.
Et outre la beauté du timbre, sa chaleur frémissante. Sa Manon s’enrichit elle aussi de la maturité de la voix pour faire du duo de Saint-Sulpice de Manon un moment à la fois douloureux et brûlant. Son « N’est-ce plus ma main » déroule ses courbes, qui au-delà de la séduction, expriment un désespoir profond (face au Des Grieux plus traditionnel de Julien Dran, dont les supraïmes, blasphaïmes et autre je t’aïme…. prêtent à sourire), et son « Adieu, notre petite table » va bien au-delà de la « faiblesse » et de la « fragilité », pour se teinter de gravité et de la mélancolie d’un adieu à la jeunesse.
Quelque brillante soit-elle, sa valse de Juliette semble moins dans les couleurs de sa voix, non pas qu’il y ait quoi que ce soit à reprocher à l’élégance des phrasés, ni au style, mais sans doute ce rôle qu’elle a beaucoup chanté à la scène convient-il moins au soprano lyrique qu’elle est aujourd’hui (plutôt que lyrique léger).

Un talent qui s’est approfondi sur scène
Curieusement, cet album est son premier récital au disque, elle qui chante sur scène une trentaine de rôles de premier plan dans les plus belles maisons d’opéra. C’est là que s’est approfondi un talent à exprimer la vérité d’un personnage, à aller au-delà du convenu, qu’on retrouve à chacune des plages de ce disque.
Et qu’on entend particulièrement dans l’air du miroir de Thaïs. On pourrait s’attarder sur les couleurs chaudes, très charnelles, du bas-médium et l’allègement des célèbres « éternellement » mais c’est d’abord, porté par les respirations larges de l’orchestre, son talent à exprimer l’angoisse du temps qui passe, et le désespoir d’une femme, cette sincérité qui font d’elle une interprète privilégiée de Massenet, comme l’intégrale récente de Grisélidis, sous la direction déjà de Jean-Marie Zeitouni, l’avait donné à entendre.
Très jolie conclusion en forme de clin d’œil, la mélodie corse d’Henri Tomasi, qui fait songer à Canteloube, n’est que simplicité et discrétion. Elle met à nouveau en valeur les sonorités de l’Orchestre de LIlle, la direction très libre et coloriste de Jean-Marie Zeitouni, en lumineuse complicité avec Vaninna Santoni.