Le moins que l’on puisse dire d’Elena Moșuc, c’est qu’elle ne triche pas.
Dans la continuité de son précédent album, paru en 2014 et dédié aux héroines donizettiennes, la soprano roumaine choisit d’appliquer à la production verdienne sa prédilection pour le bel canto. Rien que de très logique pour une artiste que Verdi accompagne depuis les débuts de sa carrière : on se souvient de sa Violetta remarquée à La Scala de Milan en 2007, ou de sa Gilda si émouvante dans la production de l’Opéra de Zürich (où, entourée de Leo Nucci et Piotr Beczala, elle était en fameuse compagnie).
Tout au long de ces années, l’affinité presque militante d’Elena Moșuc avec le bel canto est devenue évidente, au fil des productions et des saisons. L’alliage cardinal entre maîtrise technique et expressivité dramatique l’a du reste conduite, de temps à autres, vers des rivages plus proches de nous, en particulier dans le rôle de Zerbinette, où elle fit forte impression, notamment à Paris.
Le choix d’Elena Moșuc de se confronter au répertoire verdien dénote une forme de courage : les rôles choisis pour ce récital, à l’écriture exigeante, se rattachent plutôt à la première moitié de la carrière du compositeur, des « années de galère » (I Due Foscari, Aroldo, Attila) à la trilogie qui ouvre la voie à la maturité (Il Trovatore, La Traviata). Seules exceptions : la romance d’Elisabeth dans Don Carlo, à l’écriture encore très élégiaque, et le Requiem. Quant à l’air de Macbeth (« Trionfai »), incroyablement vituose, il est issu de la version originale de l’œuvre, ce qui, au passage, permet de vérifier l’indéniable plus-value dramatique de son remplacement par « La luce langue » en 1874…
Maîtrise technique et expressivité, disions-nous, pour caractériser le credo de l’artiste. Les deux sont là, et bien là. S’agissant de la maîtrise de la technique du bel canto, on peut même affirmer que l’on est ici en présence d’une de ses authentiques dépositaires : usage imparable de la messa di vocce, legato souverain, coloratures perlées…: tout y est, sans jamais esquiver la difficulté, et Dieu sait si dans les pages de ce Verdi, elle abonde. On pourrait presque croire que la difficulté technique a constitué le critère de sélection des extraits de ce récital. Il peut s’agir de virtuosité pure (La Traviata, Macbeth, I Vespri Siciliani, cabalettes du Trouvère ou d’Aroldo), ou de capacité à tenir la ligne de chant à travers la maîtrise du souffle (I Due Foscari, Don Carlo). L’air du Trouvère (« D’amor sull’ali rosee»), ou la fin de l’air de Don Carlo, chantés dans une apesanteur vocale presque lunaire, sont à cet égard des moments de pure grâce.
Cette maîtrise technique n’apparaît jamais gratuite : on la sent au contraire en permanence mise au service d’une expressivité dramatique assumée. Cela se vérifie en particulier dans les pages les plus tardives du Trouvère et de La Traviata, mais également dans le Libera me du Requiem, à la filation opératique ici évidente.
Dans la virtuosité comme dans l’élégie, dans l’expression de la douleur comme de la hargne vengeresse, Elena Mosuc offre ici une leçon d’authentique chant verdien, bien loin des prestations aseptisées et sans surprise trop souvent proposées. Pour ne rien gâcher, l’artiste est ici fort bien entourée par les forces de l’orchestre philharmonique de Zagreb, dirigé par un Ivo Lipanović très attentif aux nuances et aux climats. Le ténor Paulo Ferreira lui prête une réplique convaincante dans les extraits du Trouvère et de La Traviata. Le chœur Ivan Goran Kovacic n’est en revanche pas exempt de problèmes de justesse (pupitres de basses), perceptibles en particulier dans le Miserere du Trouvère.
Ces choix artistiques, éminement respectables, conduisent Elena Moșuc, toujours sur le fil, jusqu’aux limites de son art et de ce que son instrument peut offrir, au risque d’en exposer, par moments, les limites. On relèvera ainsi l’existence d’un vibrato parfois un tantinet envahissant, ou, ça et là, des signes de tension sur l’aigu. Mais ces remarques pèsent bien peu au regard de la sincèrité de l’engagement et de l’abattage époustouflant de la chanteuse. On accepte avec enthousiasme un tel revers, si c’est celui d’une aussi belle médaille!