Étrange objet que ce Verissimo enregistré il y a plus de sept ans semble-t-il et qui ne sort qu’aujourd’hui. Où l’on voit Vittorio Grigòlo aborder des rôles à l’évidence trop lourds pour sa voix, et se tirer d’affaire souvent à grands renforts de sucre et de sensiblerie. Année Puccini oblige, le compositeur de Lucques côtoie ici ses contemporains véristes, sans qu’on soit convaincu par lui davantage que par eux d’ailleurs.
Dès le « Dai campi, dai prati » du Mefistofele de Boito (enrôlé lui aussi sous la bannière du vérisme, ce qui est pour le moins cavalier), on est étonné par la fatigue de la voix, comme assourdie, et par le sentimentalisme éploré de l’interprétation. Le « Cielo e mar » de La Gioconda, étrangement détimbré au début, se cherche entre demi-teintes (trop) suaves, voix mixte et alanguissements
Le « Dolcissima effigie » d’Adriana Lecouvreur commence à fleur de micro, style crooner roucoulant, puis oscille entre fortissimo à fendre les vitres et pâmoisons en voix de tête, mais on ne boudera pas son plaisir au « L’anima e stanca » du deuxième acte, même si ce Maurice de Saxe sombre dans un dolorisme très fin de siècle (beau crescendo sur un tissu orchestral frémissant et crémeux).
On le voit, on aurait aimé que le producteur musical (Danilo Rigosa, auquel Vittorio Grigòlo adresse son acknowledgement) lui tienne la bride un peu plus serrée… et refrène un penchant à la romance, mettant parfois crûment en lumière les fragilités de la voix, ainsi le « Apri la tua finestra ! » de l’Iris de Mascagni, pleurard et affecté d’un vibrato fastidieux.
Tout n’est pas de ce métal, nuançons…
Même si les emplois de spinto ne sont pas de son domaine, les deux extraits d’Andrea Chénier sont d’un sentiment plus authentique. « Come un bel dì di maggio » commence un peu exsangue mais s’exalte jusqu’à un lyrisme enflammé, soutenu par l’ample crescendo du bel Orchestre symphonique national tchèque.
Et « Colpito qui m’avete … Un dì all’azzurro spazio » sonne puissant et sincère, d’un pathétique tenu. La direction généreuse de Pier Giorgio Morandi déploie un contrechamp orchestral opulent derrière le pathétique de cette scena. La voix n’a plus la fraîcheur de ses jeunes années, et sans doute Grigòlo a-t-il chanté imprudemment des rôles qui n’étaient pas pour elle (Manrico !), mais elle y a gagné une épaisseur un peu blessée dont profite son Andrea Chénier.
Dans le « Vesti la giubba » de Pagliacci (où comme tout au long de l’album on admire la richesse de l’orchestration -c’est à l’opéra qu’on entendait l’Italie symphonique), Grigòlo va jusqu’au bout de ses moyens. Pas sûr que le rôle soit pour lui, mais on s’incline devant son engagement.
Quelques scories sentimentales, très cœur en bandoulière, brouillent l’air de Turiddu de Cavalleria rusticana. Évidemment qu’une telle adresse à la mamma est en grand danger de mièvrerie, et Grigòlo n’y manque pas. Tremblements affectés, sur-expression, ce ne sont pas tout-à-fait les coups de glotte du chant vériste caricatural, mais on s’en approche…
Et c’est de la même façon qu’il se tire à peu près du « Hai ben ragione » d’Il tabarro, qui le pousse aux limites de sa voix, comme le « Ch’ella mi creda libero » de Dick Johnson, où il semble ménager ses forces pour le fortissimo final.
Stratégie semblable pour le « Non piangere, Liù », commencé dans l’intimité du microphone avant une montée escarpée vers les sommets, moins laborieuse toutefois que le « Nessun dorma ! » où le Nemorino qu’il fut s’aventure en terrain risqué…
Glissons, pour en finir avec ces Puccini déconcertants, sur le « Addio, fiorito asil ! » de Pinkerton, qui s’englue au début dans le sirop d’orgeat pour finir vibratissimo….
Mais la palme du sucré et du risible reviendra à la dernière plage, invraisemblable meringue sentimenteuse : un Ave Maria qu’on ne sait quelle main pieuse est venue poser sur l’Intermezzo si beau de Cavalleria rusticana… Larmoiements, mouchoir à la main et note filée… Une perle !