Voici donc que nous arrive avec cet enregistrement de Viktoria et son hussard le cru 2016 du festival lacustre de Mörbisch, charmante localité du Burgenland autrichien réputée pour son festival consacré à l’opérette en langue allemande.
L’oeuvre connut un succès assez vif lors de sa création en langue hongroise à Budapest en 1930, suivie peu de temps après d’une création en langue allemande à Lepizig en juillet et à Vienne et décembre de la même année. C’est dans cette version, présente ici, qu’elle fut enregistrée à plusieurs reprises (souvent sous la forme d’extraits, rarement de manière intégrale) dans les années 50 et 60 pour divers labels germaniques. On signalera, par souci d’exhaustivité, que le festival de Mörbisch avait déjà proposé cette oeuvre lors de son édition 1973 : il en reste un témoignage sous forme de vinyle.
A l’écoute, on comprend les raisons de l’accueil flatteur réservé à Viktoria et son hussard : Paul Abraham a du métier, et cela s’entend. Il sait habilement trousser les numéros de genre, aidé en cela par un livret qui, à travers les pérégrinations d’un couple de diplomates du Japon à la Russie, se prête complaisamment à l’étalage d’un exotisme bon marché… C’est souvent assez rudimentaire, cela ne brille pas par la finesse, mais il faut reconnaître que cela fonctionne bien, grâce notamment à un indéniable talent de mélodiste (« Meine Mama war aus Yokohama », « Reich’ mir zum Abschied noch mal die Hände », très soigné ici…) et à un usage habile des ingrédients de base de l’opérette austro-hongroise : czardas ébouriffantes, galops endiablés, fox-trots contagieux, valses langoureuses… rien ne manque à l’appel. Plus d’une fois, on pense au Lehar de Schön ist die Welt, exactement contemporain, du Zarewistch ou de Zigeunerliebe, en particulier pour la couleur très Mitteleuropa de certains thèmes.
L’exécution musicale proposée ici ne manque pas de charme, mais ne parvient pas à convaincre totalement. On retiendra en priorité une cohésion d’ensemble qui découle directement de la scène : cela vit, cela jaillit, cela rebondit grâce à cette étincelle précieuse du direct. Mieux : on sent ici une volonté louable de rendre justice à cette musique en adoptant constamment le ton juste, celui qui consiste d’abord à éviter les excès. Dans ce répertoire, cette vertu est cardinale et permet d’éviter la lourdeur, le kitsch ou la miévrerie, trop souvent de mise. La direction musicale de Daniel Levi, vive et attentive y contribue amplement. On aimerait néanmoins que son orchestre soit mieux capté (les voix sont exagérément mises en avant par la prise de son, et les tubas sont déraisonnablement présents dans l’image sonore qui parvient de l’orchestre…).
Dagmar Schellenberger – qui assure par ailleurs la direction artistique du Festival de Mörbisch – campe une comtesse Viktoria très grande dame, vocalement en situation, soucieuse de tirer ce qu’elle chante vers le haut. A ses côtés, mis à part peut être la O Lio San délicieuse de Verena Barth-Jurca, au timbre agréablement fruité, il faut bien reconnaître qu’on ne se situe pas au même niveau. En John Cunllight, Andreas Steppan surjoue les phrasés glamoureux, mais le souffle est bien court : un crooner – pas désagréable au demeurant – plus qu’un chanteur lyrique, en réalité. La Riquette de Katrin Fuchs n’a à proposer qu’un timbre exagérément nasal et aigrelet : on a hélas l’impression d’être en présence d’une caricature de la soubrette d’opérette. Le Ferry de Peter Lesiak s’écoute sans déplaisir, mais il en fait un peu beaucoup : un peu de retenue n’aurait rien gâché. Reste le personnage du hussard, Stefan Koltay, campé par le ténor Michael Heim : en dépit d’une réelle musicalité, la voix n’est pas des plus plaisantes. Captée de trop près, elle donne à entendre par ailleurs quelques fâcheuses erreurs d’émission. Surtout, le rôle est réduit à sa plus simple expression (un air et deux duos avec Viktoria). Il faut dire que l’opérette est donnée ici dans une version singulièrement condensée : le prologue manque, ainsi que tous les dialogues. Outre que cela déplace de fait le centre de gravité de l’ouvrage vers le personnage de Viktoria (est-ce involontaire?), cela ne facilite pas le suivi de l’intrigue. A t-on considéré, chez l’éditeur, que l’on pouvait faire l’économie de cette dimension, pour réduire l’oeuvre à un pot-pourri de ses principaux numéros musicaux?