D’année en année, le label Timpani se fait résolument le défenseur d’un compositeur français qui, sans être une figure de premier plan, n’en est pas moins une personnalité des plus attachantes : Philippe Gaubert (1879-1941). Ce contemporain de Ravel n’a laissé aucune œuvre-phare qui permettrait de l’identifier immédiatement, mais on découvre peu à peu la diversité de sa production, œuvres symphonique (les Chants de la mer) ou partitions de ballet (Le Chevalier et la damoiselle, également sorti en 2010 chez Timpani) ; ses pièces pour flûte et piano ont été enregistrées chez plusieurs firmes. Voici à présent quelques-unes des quatre-vingt-dix mélodies qu’il composa tout au long de sa carrière, la présente sélection se focalisant sur une quinzaine d’années, situées dans l’entre-deux-guerres. On pourrait s’étonner que l’équipe rassemblée pour l’occaion ait préféré « picorer » dans deux des sept cycles ici proposés plutôt que d’en graver l’intégralité, mais fions-nous à son discernement, rien ne prouvant qu’on réentende de sitôt d’autres exemples du talent de Gaubert mélodiste.
Ce disque souligne tout d’abord le rapport privilégié de Philippe Gaubert avec la poésie de Paul Fort (auteur de seize des trente-quatre poèmes réunis ici), dont l’écriture faussement simple lui permet de magistrales évocations maritimes et quelques pièces où le sentiment amoureux trouve à s’exprimer de fort belle manière. Fort inspire aussi au compositeur un délicieux « Petit Cheval blanc »qui vaut amplement la version désormais beaucoup plus connue, qu’en donnerait Brassens près de vingt ans après. « Parfum exotique » de Baudelaire inspire à Gaubert une mélodie au savoureux parfum orientaliste (il y passe comme un souvenir de la Schéhérazade de Rimsky-Korsakov), et cette pièce a sa place aux côtés des réussites de Duparc. Henri de Régnier nous parle sans doute moins, mais il n’est pas défendu de trouver un charme au symbolisme de Moréas ou du plus confidentiel Tristan Derème. La musique dont Gaubert entoure ses textes se situe à mi-chemin entre Debussy (en particulier dans Trois Nouvelles Ballades) et Poulenc, chronologiquement et stylistiquement.
On l’a déjà dit ailleurs, le timbre de la soprano canadienne Mélanie Boisvert rappelle étrangement celui de Geori Boué : même noblesse, même pureté, même diction française à l’ancienne mais ô combien appréciable dans ce répertoire. Inutile de se munir du livret pour suivre le texte des poèmes, et le compliment vaut aussi pour Lionel Peintre, grand défenseur de la musique française, et de longue date. Le baryton est aussi subtil dans les pièces éthérées que robuste dans les morceaux plus allègres. Alain Jacquon accompagnait déjà chez Timpani les mélodies d’Auric, celles de Caplet et de Jean Cras, avec Lionel Peintre déjà pour ces deux derniers compositeurs ; il joue ici (sur un piano dont on aurait aimé connaître l’âge et le fabriquant) avec toute la sensibilité voulue ces mélodies où l’instrument est l’un des protagonistes indispensables à la création d’atmosphères variées, et même si la plupart de ces morceaux ont par la suite été orchestrés par Gaubert, le piano offre ici une palette assez riche pour combler l’auditeur.