Angela Gheorghiu, qui n’est pourtant pas toujours tendre avec les autres chanteurs, la tient en haute estime, et pas seulement parce qu’elles sont toutes deux d’origine roumaine. « Je l’ai entendue pour la première fois à travers des enregistrements quand j’étais jeune fille. », peut-on lire sur le Web, « Pour Electrorecord, elle chantait La Traviata et Tosca, et j’étais impressionnée par la beauté de sa voix et aussi par son apparence sur les photographies ». Née en 1925 en Transylvanie, Virgina Zeani commença à chanter à l’âge de 13 ans, débuta en Violetta sept ans plus tard à Bologne, interpréta pour ses premiers pas à La Scala en 1956 Cleopatra dans Giulio Cesare avec la basse Nicola Rossi-Lemeni, qu’elle épousa peu après, créa le rôle de Blanche dans Dialogues des Carmélites sur cette même scène un an après, finit par compter 68 rôles à son palmarès aux côtés des plus grands chanteurs de son temps, fut invitée dans les théâtres les plus prestigieux du monde, fit ses adieux à l’opéra en 1983 pour se consacrer à l’enseignement. Son nom ne brille pas au firmament autant qu’il le devrait, occulté par d’autres aujourd’hui plus flamboyants – Callas bien sûr, Sutherland, etc.
Decca le rappelle à notre souvenir en reportant sur CD deux récitals – dont un pour la première fois –, dirigés par Gianandrea Gavazzeni à Florence en 1956 et Franco Patané à Rome en 1958, alors que l’art de la soprano touchait à son zénith. Le programme ne se distingue pas par son originalité : Lucia, Elvira, Amina, Violetta puis Puccini en long, en large et en travers, dans un florilège d’airs parmi les plus connus, de Lauretta, flanquée de son inévitable « O mio babbino caro » (Gianni Schicchi), à Tosca, en évitant toutefois Turandot, que la plupart de ses consœurs, en de semblables enregistrements, n’ont pas toujours eu la sagesse d’omettre. N’est-ce pas, Madame Gheorghiu ? Bref, rien de très excitant pour des discothèques qui comptent déjà ces mêmes airs interprétés – et comment ! – par les plus grandes voix d’hier, d’aujourd’hui et de demain. D’autant qu’il est permis, en ces années 1950, de douter de l’adéquation stylistique d’un chant osant en un même enregistrement les divagations belcantistes de Lucia et les élans véristes de Mimi. En dehors de Callas, point de salut ? Erreur. Non seulement, les extraits des opéras de Donizetti et de Bellini exposent une science du chant remarquable – trilles, notes filées, piquées, diminuées, augmentées, reprises variées, suraigus… tout ce que ce répertoire exige pour subjuguer – mais les héroïnes pucciniennes possèdent cette rare combinaison de force et de fragilité, qui aide à cohabiter dans un même geste vocal la ligne, l’accent, l’ampleur et les nuances les plus délicates.
Aucune faille, aucune faiblesse tout au long de ces dix-huit scies de l’opéra, proposées ici dans leur éclatante vérité, sans rien d’affecté, ni de daté. Du grand art, pur, intemporel, éternel dans lequel chacun puisera ce qui lui parle le plus sachant que tout est éloquent : Violetta assurément, rôle fétiche interprété plus de 600 fois, saisie ici dans toute sa complexité musicale et expressive ; puis, s’il faut n’en citer qu’une autre : Liu toute d’intentions et de respiration, émouvante d’intensité et d’humilité, grande par la simplicité… Angela Gheorghiu poursuit : « Elle avait la voix plus belle et la plus puissante, une technique remarquable, une merveilleuse palette de couleurs et une grande force d’interprétation […]. Elle est une part majeure de notre histoire de l’opéra ». On ne saurait dire mieux.