Sous la sobre appellation de « Dramma » dont les lettres rouges ornent une pochette délibérément chargée, mettant en scène figures et objets du baroque, le nouveau disque de Simone Kermes présente un spicilège d’airs virtuoses du XVIIIe siècle dont sept sont ici enregistrés pour la première fois. Le texte – celui du dramma per musica – semble placé au centre, comme le suggère le livre ouvert tenu par la cantatrice sur la photo-tableau, dans la nudité de ses affects et les ornements de ses atours musicaux. Dès le premier air, « Per trionfar pugnando », extrait de l’Arianna et Teseo de Giuseppe de Majo, la voix qui rivalise avec la trompette, sur un tempo très enlevé, relève le défi que représente l’accumulation des difficultés techniques de cet air de vengeance.
Dans tous les titres de ce disque, Simone Kermes maîtrise souverainement la succession des vocalises, les redoutables écarts de notes, les sauts d’octave, la tenue du souffle, dans un hommage aux grands castrats qui ont créé ces airs – Porporino lui-même, Farinelli, Caffarelli. Les airs rapides sont particulièrement propices à cette démonstration spectaculaire, dans laquelle réside une part de la signification du dramma, tout en faisant montre d’une fascinante agilité vocale et en donnant à entendre de magnifiques aigus. Comparés les uns aux autres, ces airs finissent par donner le sentiment d’une certaine indifférenciation, qui tient bien sûr à la composition musicale elle-même, mais aussi au fait que l’expressivité – au sens de la singularité des affects – est gommée au profit de la vitesse d’exécution.
C’est dans les airs lents que la voix de Simone Kermes nous semble déployer toute sa beauté et la puissance évocatrice des textes et des mélodies. Un sommet est atteint avec « Alto Giove » du Polifemo de Porpora, dont l’interprétation subtile (homogénéité du timbre, rondeur du son, inflexions mesurées) et techniquement impeccable (admirable messa di voce initiale) suscite une émotion qui reste intacte à chaque écoute, tout autant que dans le célèbre « Lascia ch’io pianga » du Rinaldo de Haendel. Sont également particulièrement réussis et émouvants les airs « Tace l’augello » de L’Agrippina du même Porpora, « Se dopo ria procella » extrait de son Germanico in Germania, et le superbe « Consola il genitore » du trop peu connu Johann Adolf Hasse, qui introduisit l’opéra italien à Dresde.
Le disque fait alterner avec bonheur les airs rapides (de rage, de vengeance, de tempête) et les airs lents, tout en recueillement, communiquant ce « doux émerveillement » évoqué par le castrat Pier Francesco Tosi dans son Traité sur l’art du chant, cité par Simone Kermes dans le livret qui accompagne le CD – comportant par ailleurs, sous la signature d’Andreas Dommenz, une brève mais éclairante introduction à l’art du dramma per musica et au rôle des castrats. Ces textes de présentation sont rédigés en allemand et traduits en anglais et en français avec soin. Le lecteur francophone regrettera toutefois que les paroles des airs ne soient traduites qu’en anglais. Mais il est vrai que c’est avant tout la langue italienne qui doit ici faire sens dans le chant et avec la musique.