Ne vous laissez pas décourager par une pochette en forme de gag, où une dame fait des grimaces tandis qu’une fillette se glisse derrière elle. Ce disque est en réalité un fort joli récital de Lieder et de mélodies, interprété par une voix peu connue mais de belle étoffe, et avec un programme agréablement varié. Pour une fois, on échappe aux variations sur « l’amour toujours » et autres topoi du genre, puisque la mezzo allemande Dorothe Ingenfeld a choisi d’explorer une thématique moins centrale, mais riche de possibilités : la maternité, en plus précisément encore, pour un certain nombre de pages, le rapport mère-fille. Il s’agit ici surtout de Lieder, mais pas uniquement, et même les compositeurs germaniques ici présents ont parfois mis en musique des textes écrits en anglais (Haydn) ou en français (Wagner), dans ce parcours chronologique allant de Mozart à Britten. C’est l’occasion de revisiter quelques grands noms auxquels on ne pense pas toujours assez lorsqu’on songe au Lied. Ce récital inclut quelques très belles œuvres de Brahms comme le tragique « Liebestreu », ou comme « Der Kranz », tiré d’un cycle de trois dialogues mère-fille sur des poèmes de Hans Schmidt, dont on remarque la modernité étonnante de l’accompagnement : décidément, Brahms mélodiste mériterait d’être plus souvent défendu ainsi. On remarque aussi la charmante « Kartenlegerin » de Schumann ou, plus tardif et peut-être plus audacieux, le Max Reger de « Die Mutter spricht », ave ses citations narquoises de la Marche nuptiale de Mendelssohn (Reger, encore un compositeur rarement bien servi).
Le parcours n’est pas simplement chronologique, puisqu’après Hugo Wolf, on revient à Carl Loewe pour passer aussitôt après à Britten, et à Chopin ! Quelques tubes sont là aussi, la plus célèbre mélodie de Dvorak (en allemand, bien sûr) et l’Ave Maria de Schubert. Aux côtés de ces valeurs sûres on rangera aussi le terrible « irdische Leben » du Knaben Wunderhorn mahlérien.
La mezzo Dorothe Ingenfeld semble avoir surtout bâti sa carrière sur le concert, tant dans la mélodie que dans le répertoire sacré. D’une Liedersängerin elle possède plusieurs qualités, notamment l’intelligence avec laquelle elle a choisi les partitions et a su s’approprier les textes. On pourrait regretter qu’elle ne tente pas davantage de changer de couleur de voix dans les mélodies dialoguées, mais c’est plutôt sur l’expression que son travail semble porter : dans le Mahler, l’enfant n’a pas la voix plus claire ou plus juvénile que la mère, mais celle-ci paraît pétrie de douceur résignée, face à la véhémence de la jeune affamée. Et comme la voix n’a pas été fatiguée par les excès auxquels incite parfois la scène, Dorothe Ingenfeld est en pleine possession de ses moyens, et l’on espère qu’elle aura l’occasion d’enregistrer d’autres programmes tout aussi intéressants, toujours aussi brillamment que par les deux pianistes qui se partagent le présent disque, Anita Keller et Katrin Dasch. Et espérons qu’à l’avenir, Dreyer Gaido aura la bonne idée d’inclure une traduction des poèmes chantés.