Les typologies vocales chez Wagner sont quelque peu flottantes. Ainsi Gurnemanz n’est pas à proprement parler un rôle de basse profonde, mais il requiert un medium riche d’harmoniques graves. Idem Wotan et Hans Sachs. Aux extrémités du spectre, le Roi Henri appartient plus nettement au registre des basses nobles, et Wolfram au royaume des barytons.
Se confronter à tous ces rôles (fût-ce par extraits), c’est non seulement être sûr de sa propre versatilité, mais considérer que l’identité vocale que l’on y apporte convient aussi bien à tous. Hélas, René Pape ne convainc pas. Car si le registre vocal n’est pas déterminant, il est quelque chose qu’il faut être capable de donner à tous ces personnages et qui est le lien qui est réellement les unit : le poids.
Or René Pape a beau avoir une très belle voix de baryton-basse, il manque singulièrement d’autorité vocale. Son timbre est doux plus que profond, son élocution précise plus qu’évocatrice. Sa dignité en scène, son intelligence musicale, sont incontestables. Mais l’on ne peut s’empêcher de trouver que sa voix, son timbre, n’offrent pas à Sachs et Wotan l’espèce de gravité qu’il leur faut. Il y a trop de juvénilité dans ce Sachs. Pas assez d’épaisseur chez ce Wotan.
Gurnemanz est un cas différent : Pape l’a amplement rôdé et sa noblesse de diseur fait effet. Mais face au Parsifal de Domingo, on se demande qui est le chaste fol et qui le vieux chevalier. Voilà en tout cas qui ne fait pas oublier Salminen, Moll ou Hotter – sans remonter aux pères fondateurs.
En somme, la vraie grande réussite de ce disque, c’est la romance de Wolfram : là est pour l’heure son emploi idéal, tant par le lyrisme, la pudeur, que par le juste poids de la voix. Aussi peut-on s’étonner que Pape n’ait pas tenté, pour ce premier récital Wagner, d’endosser des rôles moins manifestement vénérables. Que n’a-t-il tenté le Hollandais ? Et pourquoi un seul extrait de Tannhäuser ? Dans Parsifal, Amfortas est-il décidément hors de ses moyens ? N’y avait-il pas lieu de chercher à le faire entendre en Kurwenal ? Daniel Barenboim (qui affiche ici une aisance allant parfois jusqu’au relâchement) aurait peut-être pu mieux aiguiller le chanteur et inventer un programme moins convenu. C’est en tout cas cette intelligence qu’avaient eue Bryn Terfel et Claudio Abbado.
En tout état de cause, on a voulu offrir à René Pape un bon vieux récital Wagner pour basses, comme on faisait jadis. C’est très bien. Mais tenir compte de l’identité vocale du chanteur, de ses possibilités actuelles, et de la différence qu’il y a entre un disque et une représentation d’opéra, n’eût pas été de mauvaise méthode et eût épargné à ce grand artiste d’apparaître sous-dimensionné, surtout dans un répertoire dont il ne fait aucun doute qu’il sera, dans quelques années, le maître absolu.
Sylvain Fort