Produire sur scène des œuvres en langue vernaculaire reste, en 2009, pour certaines catégories de théâtres, une option défendable, malgré les surtitres presque généralisés et, du moins peut-on l’espérer, une connaissance croissante du répertoire. Si cette pratique a complètement disparu en France ou en Italie, elle reste vivace dans certains pays comme l’Allemagne, et plusieurs maisons d’opéra, comme la Komische oper de Berlin, l’English National Opera de Londres ou le New York City opera, cherchent ainsi à mettre à la portée du plus grand nombre les œuvres du répertoire, y compris les plus populaires, en supprimant l’obstacle de la langue et en faisant appel, en principe, à de jeunes chanteurs, parfois membres d’une troupe. On trouve au disque de nombreux témoignages de captations – et pas des moindres – de spectacles donnés, la plupart du temps avant les années 1950, dans la langue du pays.
Produire, en 2009, un Nabucco en anglais avec une distribution en principe de niveau international est, en revanche, un choix curieux. Pour la majorité du public potentiellement intéressé (mais qui va acheter ce double cd ?), l’obstacle de la langue est ici réintroduit et non supprimé comme sur scène pour un spectacle outre-manche. Chantez-vous souvent sous la douche « Speed your journey, my thoughts and my longings », traduction du “Va pensiero” du poète Temistocle Solera ?
C’est pourtant le choix de la maison Chandos, sans doute en écho à des représentations données avec le soutien de la fondation Peter Moores par « Opera North », compagnie nationale anglaise basée dans le Nord du Pays.
David Parry, bien connu des fans d’Opera Rara, ne démérite pas et donne, à la tête des forces d’Opera North, une lecture classique de l’oeuvre, jamais surprenante malheureusement, mis à part quelques aigus ajoutés ici et là par les solistes.
La distribution, reposant sur des chanteurs anglo-saxons pour l’essentiel, de deuxième ordre il faut bien le dire, présente le mérite de donner une lecture homogène de l’œuvre. Elle est dominée par le Zaccaria d’Alastair Miles, basse bien connue sur le circuit international mais plutôt rare en France. Nabucco est Alan Opie, habitué de l’English National Opera et du catalogue Chandos, dont le timbre sombre se démarque des barytons traditionnels programmés dans ce rôle, avec souvent une voix plus claire et qui l’ont marqué de leur empreinte si l’on songe à Cappuccilli, Bruson, Zancanaro, Milnes ou Nucci. Le résultat est honnête et on note un beau la bémol ajouté dans le duo avec Abigaille. La soprano américaine Susan Patterson elle aussi y va de son suraigu avec un contre mi-bémol surprenant…. Le rôle, pourtant redoutable, ne lui pose pas de difficultés excessives. Les graves sont toutefois plutôt discrets ce qui retire à son personnage une part de violence. Même si Abigaille n’est pas Lady Macbeth, c’est une limite sérieuse.
Le reste de la distribution est anecdotique, avec en particulier le ténor italo-américain Leonardo Capalbo, produit de la Julliard School of Music de New York, systématiquement trop bas dans le rôle vraiment ingrat d’Ismaele.
Au final, dans un ouvrage où les mots ont souvent une portée théâtrale très forte (par exemple dans le duo Abigaille-Nabucco lorsque ce dernier se rend compte qu’il est prisonnier de sa « fille »), le résultat est curieux et même agaçant. La barrière de la langue est rédhibitoire et justifie mal cette nouvelle ligne dans une discographie très abondante.
Jean-Philippe Thiellay