Il fêtera le 19 décembre prochain ses 80 printemps, celui qui, animé d’une véritable passion pour la culture française, et plus particulièrement celle du grand siècle, débarqua à Paris en 1971 et contribua sa vie durant à faire revivre avec amour le répertoire baroque français.
Solidement formé dans les universités américaines, et notamment à Harvard, William Christie, jeune et ambitieux musicien venait confronter sa vérité académique avec les pratiques locales, s’imprégner des modes de vie du pays, s’enivrer de libertés et de culture, mais aussi révéler au public français, à travers l’intérêt que lui portait un étranger, les richesses de son propre patrimoine.
Christie fit la première partie de sa carrière discographique chez Harmonia Mundi qui publia ses enregistrements les plus célèbres et les plus remarquables, parmi lesquels on peut citer à titre d’exemples Atys de Lully (1986), Idoménée de Campra (1992), Castor et Pollux de Rameau (1993) ou le Messie de Haendel (1993).
Les années Erato (et Virgin, mais les deux labels sont aujourd’hui réunis au sein de Warner Classics qui édite ce coffret) se situent entre 1994 et 2011. Le transfert d’un chef d’une telle renommée d’une écurie à l’autre avait d’ailleurs fait grand bruit à l’époque, et je me souviens de la sidération de toute la profession lors de l’annonce de l’événement, conférence de presse à l’appui, en plein festival d’Aix en Provence en juillet 1994. Le flou qui entourait les raisons d’un tel transfert laissait soupçonner de basses tractations financières…
Toujours est-il qu’après 17 années d’une intense activité passées chez Erato, William Christie revint à sa première maison de disques.
Beaucoup des enregistrements mythiques parus chez Harmonia Mundi avaient fait l’objet d’une réédition à l’occasion du trentième anniversaire des Arts Florissants en 2009, d’autres figurent sous forme d’extraits un peu chiches dans un coffret rassemblé à l’occasion du quarantième anniversaire des Arts Florissants.
D’une tout autre ampleur, le présent coffret comprend une large série d’œuvres lyriques majeures, reprises dans leur intégralité, ainsi que des pages importantes de musique religieuse ou de musique de cour, réparties sur 61 disques.
L’objet se présente sous la forme d’un cube d’une agréable couleur beige, s’ouvrant sur le côté, avec des airs de boîte au trésor. Sa composition reflète les centres d’intérêt du chef durant cette période ; Charpentier, Haendel, Mozart, Purcell, et Rameau y figurent en très bonne place.
Si tout n’est pas d’égale qualité, tout est marqué du sceau de la rigueur, de la curiosité, de la générosité et de l’amour du chant, sentiments qui ont toujours conduit le chef dans ses démarches artistiques, et qui lui ont permis de s’entourer des meilleures voix du moments, quand il ne les formait pas lui-même. On ne saurait trop insister en effet sur les activités pédagogiques que Christie a menées tout au long de sa carrière, l’attention toute particulière portée à la découverte de jeunes chanteurs, constituant autour de sa personne un réservoir quasi inépuisable de jeunes talents dont il a lancé la carrière.
On aura ainsi plaisir à retrouver au fil des œuvres des partenaires de toujours, tels Paul Agnew, à la fois disciple et héritier, Yann Beuron, Jean-Paul Fouchécourt, Mark Padmore, Laurent Naouri, ou François Piolino du côté des hommes, ou Véronique Gens, Lorraine Hunt, Rosemary Joshua, Anna-Maria Panzarella, Sandrine Piau du côté des femmes, mais aussi des collaborations plus occasionnelles avec des grandes pointures lyriques : Ian Bostridge, Natalie Dessay, Christoph Prégardien, Renée Fleming, Topi Lehtipuu ou Anne Sophie von Otter, pour ne citer que quelques exemples.
Parmi les réussites incontestables contenues dans ce coffret, on peut citer l’Hippolyte et Aricie de Rameau, (Mark Padmore, Anna-Maria Panzarella, Lorraine Hunt, Laurent Naouri), un enregistrement qui malgré son âge n’a pas pris une ride et qui s’impose encore aujourd’hui, outre la qualité de la distribution, par sa remarquable conception théâtrale et la construction dramatique de l’ensemble. On citera aussi Alcina de Haendel avec un casting de rêve, jugez du peu : Renée Fleming, Natalie Dessay et Susan Graham, ou du même Haendel Acis et Galatée (Sophie Daneman, Patricia Petitbon, Paul Agnew), lui aussi exemplaire. On retrouvera avec un immense plaisir Sandrine Piau aux côtés de Anne-Sofie von Otter dans le Serse de Haendel enregistré en 2003, ou aux côtés de Véronique Gens et Claron Mc Fadden dans le King Arthur de Purcell en 1995, et les Mozart de Christine Schäfer (Konstanze) en couple avec Ian Bostridge (Belmonte) dans Entführung aus dem Serail (1997) ou l’incomparable Tamino de Hans-Peter Blochwitz au côté de Rosa Mannion (Pamina) dans Zauberflöte en 1995. Et j’espère qu’ils me pardonneront, toutes celles et tous ceux, nombreux, que je n’aurai pas cités.
Chaque disque est présenté dans une pochette qui reprend – parfois avec nostalgie – l’iconographie des parutions originales.
L’incroyable travail réédité ici témoigne de l’ardeur de Christie et de ses équipes tout au long de ces années fastes de l’industrie discographique.
Il constitue, avec le coffret Charpentier (8 CD Harmonia Mundi paru en 2023) et le coffret Rameau paru en 2014 un vibrant hommage et un document exemplaire sur l’œuvre de ce découvreur insatiable, de ce chef toujours vert. Rien qu’à ce titre, le coffret mérite certainement sa place sous le sapin !