Voici un disque dont la sortie aura été soigneusement planifiée, après de faux espoirs de distribution en France lors de sa sortie outre Atlantique en 2007 : après quelques apparitions sporadiques en Europe dont cet été à Verbier, Measha Brueggergosman est le 28 novembre à la Cité de la Musique dans le Recital for Cathy de Berio, avec l’Ensemble Intercontemporain. Rendez-vous de consécration, après un récital au Théâtre de l’Atelier le 20 octobre. Measha serait-elle la nouvelle étoile naissante de la constellation lyrique ? Elle en a en tout cas le tempérament : nous l’avons vue et entendue à Verbier incendier le plateau, chavirer le public avec un bonheur de chanter évident. Mais les blasés qui feraient la fine bouche devant le marketing à l’évidence réussie de DG feraient bien de considérer aussi ce début de parcours : l’intelligence même, et la volonté manifeste de ne pas réécrire des chemins déjà parcourus. Éclectique, magnétique et audacieuse sur scène, diva mais sympathique et pleine d’humour à la ville, elle délaisse volontairement dans ce premier disque pour un grand label la facilité des poncifs du genre et préfère offrir un bouquet tendre et canaille où le méconnu Bolcom côtoie un Satie et un Schoenberg revivifiés par des orchestrations inhabituelles.
Méconnu en Europe, William Bolcom a ciselé pour son épouse la soprano Joan Morris des miniatures dramatiques comme autant de portraits décalés, dans la veine d’un Barber ou d’un Irving Berlin. Le premier, Surprise, donne son titre à l’album. Suivent The Actor, Song of Black Max, proche de l’univers de Kurt Weill, un Amor canaille et dansant, Toothbrush time, ou comment déchantent en swinguant les lendemains de nuits d’amour, The total Stranger in the Garden comme un soliloque superbement orchestré, et enfin George, vrai scénario concentré d’opéra. Une succession de portraits au texte essentiel, que Measha Brueggergosman dit avec un art raffiné de l’instant juste. Suivent les rares et atypiques Brettl Lieder (Chansons de Cabaret) de Schoenberg, l’un orchestré par Schoenberg lui-même (Der Nachtwandler), les autres par Patrick Davin. La fausse candeur des textes se pimente de mélodies acérées, et l’interprète use de tous les registres, de la chansonnette au grand air d’opéra, du charme au drame. Là encore plus que dans le reste du disque, on perçoit les possibilités futures dont elle avoue rêver, de la Marie de Wozzeck à Elektra. Enfin, Satie termine le récital, traité pour une fois avec une vraie voix lyrique, ce dont on ne se plaindra pas, et orchestré par Bolcom lui-même ou par Robert Caby, élève de Satie, pour Daphénéo.
Intelligence des choix de l’interprète, intelligence aussi d’un David Robertson idéalement choisi (et à nouveau compagnon de route avec l’Intercontemporain à Paris), qui sait distiller alanguissements sensuels, élans aguicheurs, timbres moirés. Un régal.
Sophie Roughol