La musique de chambre n’est pas aussi ancrée en Italie en tant qu’expression vocale à part entière que peuvent l’être la mélodie en France et le Lied en Allemagne. Peu de compositeurs s’y sont dédiés, à l’exception de Puccini qui a écrit quelques belles pièces (auxquelles Plácido Domingo avait consacré un album chez Sony Classical sous le titre Unknown Puccini) et bien sûr Francesco Paolo Tosti. C’est de la collaboration de ce dernier avec le poète Gabriele D’Annunzio, que sont nées ces romances tipicamente italiane pour voix et piano qui ont traversé le temps et font désormais partie du patrimoine musical italien.
C’est ce répertoire que le baryton Franco Vassallo a choisi d’explorer à son tour dans ce disque intitulé Arcano, paru le 23 avril dernier, et qu’il définit comme « riche en suggestion profonde, humanité, inventivité mélodique ». Ces adjectifs résument l’univers musical et vocal de Tosti, imprégné d’une sentimentalité bourgeoise qui se réfugie tant dans la nostalgie des jours passés que dans le frisson d’une joie de vivre jaillissante. Après une carrière principalement consacrée à l’opéra, du belcanto à Verdi, Franco Vassallo se lance à cœur vaillant dans Tosti, accompagné d’un musicien de grande valeur, Giulio Zappa, l’un de ces pianistes accompagnateurs dont tous les chanteurs rêvent, capable de respirer avec la voix, de la suivre et de la soutenir avec une attention scrupuleuse. Autant dire que l’auditeur n’a plus qu’à se laisser porter dans un programme qui ne brille pas par son originalité et un tantinet longuet (près de 75 minutes), mais servi à merveille par deux artistes qui savent donner corps à tous ces soupirs dont est empreinte cette musique…
Le baryton milanais chante ici ces pièces comme s’il était sur une scène d’opéra et nous donne à entendre un théâtre musical, avec une certaine dramaturgie dans le verbe, bien plus que de la musique de salon tourné vers une certaine intériorité, une introspection en clair-obscur. L’artiste fait davantage dans la démonstration vocale que dans la nuance de l’interprétation. Il faut toutefois lui reconnaître un certain talent pour habiter les textes et insuffler beaucoup d’humanité chargée de passion par un instrument séduisant qui occupe l’espace et donne de l’épaisseur aux mots.
Le piano alerte de Zappa sied à merveille cette voix de baryton riche et puissante. Dans une belle synergie, ils savent tous deux donner corps tant à la charmante ironie « Buon capo d’anno » que passer ensemble avec brio la ligne sournoise de « E morto Pulcinella ! ». Ici, curieusement, Vassalo sait insuffler plus justement les nuances qui font un tantinet défaut par ailleurs, dans une intonation plus mélancolique que pathétique. Dans les spirales émotionnelles de ces mélodies, chant et piano dialoguent, trouvant dans cette compréhension mutuelle, une synthèse parfaite à ce voyage d’une « profondeur exquisément humaniste », pour reprendre les paroles du chanteur.
L’enregistrement est techniquement de belle facture, et le graphisme de la couverture conçue par Alessandra Privato donne un air impressionniste du Déjeuner sur l’herbe de Claude Monet à ce voyage Tostien, qui ravira ceux qui aiment ce répertoire, même s’il n’apportera rien de neuf aux afficionados du genre, si ce n’est le plaisir d’un ensoleillement italien dans un printemps naissant.