Puisqu’il en faut un désormais, voici le concept du présent disque : l’indéfectible amitié unissant le légendaire Farinelli au poète italien Pietro Metastasio, un des plus grands dramaturges d’Europe au XVIIIe siècle. C’est à Naples, en 1720, que les artistes lancent conjointement leur carrière dans Angelica e Medoro. Pris par leurs engagements respectifs, ils ne se rencontrent probablement plus après 1732. Pourtant, ils continuent d’échanger des lettres pleines de mots tendres (« Caro gemello » : cher jumeau) et de témoignages d’admiration jusqu’à leur dernier souffle, la même année, en 1782.
Il faut de l’aplomb pour explorer le répertoire d’un des chanteurs les plus phénoménaux de l’histoire, complété par des airs écrits pour les castrats Elisi et Manzuoli, et le contre-ténor Valer Sabadus fourbit ses armes depuis plusieurs années. Sur le plan technique, le défi est relevé, ce qui n’est pas un mince exploit. Et pourtant, ce disque distille un ennui poli. En concert, Sabadus se balance doucement en mesure, comme bercé par son propre chant ; force est de constater qu’une fois encore, le studio ne l’enflamme pas davantage. Sensation étrange d’un chant dont on ne percevrait que le halo, couronne solaire sans soleil. Certes, les moyens sont là, indéniablement, avec un aigu particulièrement aisé et une grande facilité dans les vocalises (à l’exception du trille). Cette matière vocale singulière peut évidemment séduire et les fans du falsettiste se réjouiront de l’entendre affronter sans sourciller plusieurs pages redoutables. Les coloratures profuses d’Adriano in Siria de Giacomelli tombent sans un pli, cependant bien malin qui y décèlera les déchirements du personnage. La semonce d’Aci dans Polifemo de Porpora a quelque chose d’écrasant : Farinelli s’y fait ange exterminateur, alternant emphase déclamatoire et traits infatigables qui, du grave à l’aigu, semblent repousser l’espace. Sabadus réussit le tour de force, mais on s’ennuie ferme. Il serait cruel de comparer l’interprétation qu’a laissée Bartoli du bouleversant « Quel buon pastor son io », profession quasi christique, à la présente version. Des gracieusetés de la Nitteti de Conforto au furieux désespoir du Ruggiero de Hasse, du recueillement d’Abel et Aci (« Alto Giove ») aux parfums arcadiens d’Angelica e Medoro, tout se confond dans un néon monochrome dont le moelleux vire à la mollesse, où ne surnagent que quelques voyelles indistinctes au bénéfice d’une expression des plus génériques.
Fort sympathique, l’ouverture d’Ezio de Conforto ouvre le disque sur une note enlevée et flatte l’alacrité du Concerto Köln. Élégants, vivaces et boisés, les instrumentistes accompagnent le chanteur sans parti pris fort, avec toutefois des arêtes plus vives. Un chef aurait sans doute imprimé davantage de caractère et de variété à l’ensemble, et poussé Sabadus hors de son lymphatisme. Un orchestre solide, une voix personnelle et capable, un angle intéressant : le tout s’écoute sans déplaisir, mais il aurait fallu beaucoup plus que du joli son.