« Du live et rien d’autre » : le principe fondateur du label B Records devait un jour ou l’autre motiver une collaboration avec l’Académie Orsay-Royaumont, créée en 2018 pour diffuser le répertoire de la mélodie et du lied auprès d’un public plus large. L’idée était aussi, au fil des éditions, de repérer et former des duos chanteurs-pianistes. En 2019, un enregistrement intitulé « Le promenoir des amants » donnait à entendre les lauréats de la première promotion. C’est sous le titre « carte postale » que se présentent au disque les binômes de l’édition suivante, enregistrés lors d’un concert à l’Abbaye de Royaumont en juillet 2020.
Conçu à la manière de quatre cartes de visite, le programme ne peut qu’être hétérogène. C’est là son moindre défaut. Il n’est pas toujours évident de passer sans transition d’un compositeur à l’autre, des brumes mystérieuses de « Nacht und Träume » composé par Schubert dans les années 1820 à la fantaisie goguenarde des Chansons villageoises mises en musique par Poulenc en 1942. Voilà qui peut décourager de réitérer l’écoute si l’on aime s’immerger dans un album comme on contemple un paysage d’un seul regard – ce que suppose l’usage du singulier dans le titre de l’album.
Relever ensuite la complicité entre chanteur et pianiste s’apparente à un truisme. Il serait regrettable qu’à l’issue d’une année d’études conjointes encadrées par certains des plus « grands récitalistes de la scène internationale », le résultat ne soit pas audible. On aimerait d’ailleurs pour mesurer les bienfaits de la formation procéder à une écoute comparée de ces mêmes pages interprétées par ces mêmes artistes avant leur entrée à l’Académie.
Le reste est surtout affaire de goût. Il ne faudrait pas dans cette entreprise dissocier le chanteur du pianiste mais peut-on échapper à son tropisme lyrique ? On avoue avoir été davantage séduit par les voix masculines que féminines : le baryton de Fabian Langguth, si clair qu’il pourrait se prétendre ténor ; celui, plus timbré, de Michael Rakotoarivony, dont on a du mal à croire qu’il soit d’origine malgache tant son français coule de source. Au-delà de leur identité vocale, on aime du premier la lumière douce qu’il dépose sur les six Lieder extraits de Schwanengesang, et du second la manière vigoureuse d’empoigner les Chansons villageoises et d’en assumer les humeurs changeantes avant d’entonner les Chansons de Don Quichotte à Dulcinée . Là fait merveille ce naturel essentiel au genre mélodique – mais chez Ravel où le rythme est fondamental, plus encore que chez Poulenc, c’est d’abord la pianiste, Teodora Oprisor, qui conduit le récit.
Des quatre chanteurs, Victoire Bunel est peut-être celle dont le nom nous est le plus familier. Diplômée du CNSMDP, la mezzo-soprano faisait équipe avec Anne-Catherine Gillet en 2019 le temps d’un INSTANT LYRIQUE délicieux. Se pose pour celle qui interprète ici des mélodies de Hahn, Chausson et Poulenc l’éternel dilemme du mélodiste : son ou sens, il faut choisir avec dans le cas présent, une préférence pour la beauté ronde des notes, dût le texte passer au second plan. Tout autre est l’approche expressive d’Elena Harsányi, dont on peut être apprécier dans Wolf et Schubert l’intensité rougeoyante de son soprano, ou pas.