Etre conscient de sa nature vocale, de ses qualités et de ses limites, c’est très bien. La soprano canadienne Marie-Eve Munger a chanté Lakmé à Saint-Etienne, elle vient d’être Isabelle dans Le Pré aux clercs à Paris : incontestablement, la virtuosité compte parmi ses points forts, mais n’a-t-elle pas d’autres atout à faire valoir ? Et est-il bien raisonnable de construire tout le programme d’un récital sur le seul suraigu ? C’est la question que se pose l’auditeur de Colorature, qui rappelle à la fois le disque Vocalises de Natalie Dessay (1998), qui incluait le Concerto pour colorature de Glière et la Vocalise en forme de habanera de Ravel, et surtout l’album Romances et chants d’oiseaux d’Elisabeth Vidal (1994), qui s’ouvrait lui aussi sur quelques mélodies de Debussy – dont « Romance » et « La Romance d’Ariel » – et proposait également le cycle Chansons pour les oiseaux de Louis Beydts.
Contrairement à ses devancières, Marie-Eve Munger n’inclut aucun air d’opéra-comique, aucune mélodie de caractère plus vif qui viendrait réveiller l’attention de l’auditeur, d’où une relative monotonie. Certes, il est difficile de conférer une réelle expressivité à des pièces où le texte se borne à un long « Ah », mais pour les poèmes ici mis en musique, on aimerait une recherche de couleurs qui identifierait mieux les différentes atmosphères, or les premières pages du disque se succèdent sans guère se distinguer les unes des autres, surtout quand l’humour pointe son nez ou quand l’aimable cède la place à l’un peu plus dramatique.
C’est d’autant plus dommage que le programme sort un peu des sentiers battus. Composées par Louis Beydts pour Janine Micheau, les Chansons pour les oiseaux de 1948 sur des poèmes de Paul Fort ne sont pas si souvent enregistrées, et l’on est heureux de les entendre ici ; commande de Lily Pons qui les créa en 1941, les tout aussi rares Chansons de Ronsard de Darius Milhaud, compositeur dont le centenaire en 2014 semble n’avoir suscité qu’une relative indifférence, à quelques exceptions près. Les Debussy de jeunesse inspiré par Marie-Blanche Vasnier ont en revanche été beaucoup gravés ces derniers temps.
Un autre souci de ce disque, c’est une certaine acidité du timbre dans les notes les plus hautes, acidité qui ne nous avait pas frappé à la scène, mais que l’accumulation de morceaux sollicitant le suraigu rend ici particulièrement sensible. Est-ce la prise de son, est-ce le studio ? Toujours est-il que Marie-Eve Munger suscite une impression bien plus exaltante lorsqu’elle a un rôle entier à interpréter, un personnage à nourrir. Les qualités de diction remarquées dans Lakmé ou Le Pré aux clercs ne suscitent pas ici un investissement de l’interprète qui permettrait de dépasser la pure virtuosité ou le simple agrément pour vraiment éveiller l’attention. Et l’on pourrait souhaiter qu’elle se consacre à des partitions plus satisfaisante pour son excellente accompagnatrice, la pianiste Louise-Andrée Baril, qui mérite mieux que la version piano du concerto-guimauve de Glière. Marie-Eve Munger n’est pas une oiselle, elle vaut bien mieux que cela, ses prestations nous l’ont prouvé : il lui appartient désormais de composer un récital qui sollicite son imagination et sa sensibilité autant que ses compétences techniques, et elle nous livrera un disque sans doute plus marquant.