C’est un album-concept, ou un album-gageure si on préfère : le même soprano chante les trois rôles féminins de Don Giovanni, ceux de Cosi fan tutte et ceux des Nozze di Figaro (si on admet que Cherubino est aussi un rôle féminin), en y ajoutant pour faire bonne mesure Vitellia de la Clemenza di Tito, Elettra d’Idomeneo et Cecilio de Lucio Silla.
Performance qu’on salue évidemment, d’autant qu’elle est exécutée avec brio, que la voix de la jeune cantatrice brille dans tous ces airs célèbres, mais performance de concert (ou de disque), qui fait fi de la caractérisation des personnages, telle que Mozart l’avait dessinée par ses choix d’interprètes. Au théâtre on resterait sur sa faim, mais en récital on goûte le plaisir de cette démonstration de virtuosité et de versatilité.
La féminité selon Da Ponte
C’est dans le registre de soprano lyrique qu’Elsa Dreisig brille le mieux. Ainsi elle est une Fiordiligi sans peur (et pourtant il y a de quoi) et sans reproche (sauf deux vocalises un peu serrées), qui se joue de la tessiture meurtrière de l’aria « Come scoglio » et des sauts dangereux que Mozart réservait à la Ferrarese, créatrice du rôle et l’une des plus grandes chanteuses de son temps. Certes les notes les plus graves, un peu fragiles, n’ont pas l’aisance des notes hautes qui, elles, s’envolent légères et lumineuses, mais la voix est encore jeune, ce qui est d’ailleurs une qualité.
La jeunesse, c’est bien ce qui fait la vérité de sa Comtesse des Noces. La créatrice, Luisa Laschi, avait vingt-six ans et elle vocalisait aisément jusqu’au contre-ut si besoin était. Ici Elsa Dreisig monte jusqu’au la sans problème, mais surtout donne de « Dove sono » une lecture radieuse : cette Comtesse ne sombre pas dans la mélancolie et ne manque pas de pugnacité.
Autre air parfaitement dans sa voix, celui de Donna Anna « Non mi dir, bell’idol mio », qui va jusqu’au si bémol, et où elle est d’une sûreté impavide, celle de ce fier personnage prêt à venger son père le Commandeur. Le registre héroïque convient parfaitement à ce timbre si clair, pour ne rien dire de la ligne vocale et du legato, du vibrato et des ornements impeccablement mozartiens. Le récitatif qui précède l’aria (« Crudele ») est ardent, farouche, cambré, saisissant.
Autres réussites, les personnages plus légers que sont Zerline et Despina. De la première, qui à l’époque était considérée comme le principal rôle féminin de l’opéra, « Vedrai carino », dans un joli coloris de tendresse, mais sans mièvrerie, s’agrémente d’une vocalise bienvenue.
De la seconde, « In uomini in soldati » a toute l’alacrité, l’insolence, l’esprit qu’il faut ; les trilles sont impeccables, les la de la coda sont envoyés avec mordant, et la couleur est plus chaude (la créatrice Dorotea Sardi-Bussani était un soprano grave).
Un léger manque de velours
Justement, c’est dans les rôles dévolus traditionnellement à des voix plus opulentes que l’on restera un peu en attente de caractérisation. Ainsi Susanna fut créée par une Nancy Storace de 21 ans, déjà reconnue comme prima donna, et pour laquelle on sait que Mozart avait de l’inclination. C’était un soprano grave, d’où l’usage de donner ce rôle qui va du la2 au la4 à des voix plus charnues (contre-exemple : la Susanna des Noces récemment rééditées dans le coffret Karl Böhm et confiée à Rita Streich). Elsa Dreisig chante admirablement « Giunse alfin il momento… Deh vieni non tardar », mais le registre grave, plus sollicité, n’a peut-être pas tout à fait le velours qu’on aimerait.
Même remarque pour l’air de Dorabella, rôle créé par Louise Villeneuve, soprano grave elle aussi. Mais l’aria « Smanie implacabili » est lui aussi d’une conduite et d’une santé impeccables, dans ce sentiment de colère un peu surjouée qui est la palette du personnage… On se souvient que dans une récente version de Cosi à Salzburg c’est Marianne Crebassa qui était la Dorabella de Dreisig-Fiordiligi, et là les deux couleurs vocales étaient en accord avec les désirs de Mozart, du moins peut-on le penser.
Le récitatif de Donna Elvira « In quali eccessi ô Numi » met particulièrement en évidence la délicatesse de l’Orchestre de chambre de Bâle, la couleur des bois (la clarinette), et l’à-propos du pianofortiste. Et Dreisig vibre de la colère douloureuse de la malheureuse épouse bafouée dans « Mi tradi questa alma ingrata » sur des vents cuivrés et nerveux, volubiles et vifs, sous la baguette très attentive de Louis Langrée.
Adorné de jolies fioritures de son cru, l’air de Chérubin, « Voi che sapete », met en valeur le centre de la voix, et surtout la sincérité juvénile de Dreisig, qualité qui illumine ce récital auquel on s’attache chaque fois davantage au fil des écoutes, les réticences qu’on avait ici et là s’estompant de plus en plus…
Des notes à conquérir
Sortant du concept « Mozart-Da Ponte × 3 », les trois airs extraits d’opere serie convainquent à des degrés divers. Le récitatif et aria d’Elettra dans Idomeneo, « Estinto è Idomeneo…Tutte nel cor vi sento », air « di furore » oppressé et dramatique brille d’un noir éclat (et la direction de Louis Langrée, preste et acidulée, emporte le mouvement).
De diaphanes couleurs de cordes introduisent le plaintif et tendre « Pupille amate non lagrimate » de Cecilio dans Lucio Silla, créé par le castrat soprano et virtuose Venanzio Rauzzini.
Enfin, l’air de Vitellia dans La Clemenza di Tito, « Ecco il punto, o Vitellia… Non piu di fiori », créé par Teresa Strivanacchi, cantatrice virtuose dont la voix hors du commun allait du sol2 au ré5, montrera une Dreisig à la peine dans les notes les plus basses (mais à l’aise dans les plus hautes et dans le registre central) sur de chaudes arabesques du cor de basset et laissera sur une dernière impression légèrement incertaine. Ce qui est un peu dommage pour un récital des plus séduisant, jolie démonstration mozartienne d’une artiste au seuil d’une belle maturité.
Echappant au concept « Mozart-Da Ponte × 3 », les trois airs extraits d’opere serie convainquent diversement. Le récitatif et aria d‘Elettra dans Idomeneo, « Estinto è Idomeneo…Tutte nel cor vi sento », air « di furore » oppressé et dramatique brille d’un noir éclat.
De diaphanes couleurs de cordes introduisent le plaintif et tendre « Pupille amate non lagrimate » de Cecilio dans Lucio Silla, créé par le castrat soprano et virtuose Venanzio Rauzzini.
Enfin, l’air de Vitellia dans La Clemenza di Tito, « Ecco il punto, o Vitellia… Non piu di fiori », créé par Teresa Strivanacchi, cantatrice virtuose dont la voix hors du commun allait du sol2 au ré5, montrera une Dreisig à la peine dans les notes les plus basses (mais à l’aise dans les plus hautes et dans le registre central) sur de chaudes arabesques du cor de basset et laissera sur une dernière impression légèrement incertaine. Ce qui est un peu dommage pour un récital des plus séduisant, jolie démonstration mozartienne d’une artiste au seuil d’une belle maturité.
Echappant au concept « Mozart-Da Ponte × 3 », les trois airs extraits d’opere serie convainquent diversement. Le récitatif et aria d‘Elettra dans Idomeneo, « Estinto è Idomeneo…Tutte nel cor vi sento », air « di furore » oppressé et dramatique brille d’un noir éclat.
De diaphanes couleurs de cordes introduisent le plaintif et tendre « Pupille amate non lagrimate » de Cecilio dans Lucio Silla, créé par le castrat soprano et virtuose Venanzio Rauzzini.
Enfin, l’air de Vitellia dans La Clemenza di Tito, « Ecco il punto, o Vitellia… Non piu di fiori », créé par Teresa Strivanacchi, cantatrice virtuose dont la voix hors du commun allait du sol2 au ré5, montrera une Dreisig à la peine dans les notes les plus basses (mais à l’aise dans les plus hautes et dans le registre central) sur de chaudes arabesques du cor de basset et laissera sur une dernière impression légèrement incertaine. Ce qui est un peu dommage pour un récital des plus séduisant, jolie démonstration mozartienne d’une artiste au seuil d’une belle maturité.