Une guitare, un peu jazzy, puis une voix toute proche, qui murmure, en confidence, Ici-bas, de Fauré sur un poème de Sully-Prud’homme, avec une manière de sourire et une nonchalance charmeuse. Pour peu qu’on connaisse la mélodie, on la reconnaît inchangée, mais il ne reste rien des arpèges et des syncopes, ni des harmonies, du piano de Fauré. Et plus rien, bien sûr, de la grandiloquence de certains interprètes. C’est un autre univers, confidentiel, alangui, subtil, voluptueusement bluesy.
Les Berceaux, des mêmes auteurs, sera dans le même esprit, plus intime encore que la version qu’en donnait Yves Montand. La guitare de Frédéric Loiseau musarde et brode, en douceur, une tapisserie harmonique impalpable, changeante, moirée, entre dissonance et consonance, avec de vagues souvenirs de bossa nova dans Chanson d’amour. Chanson, voilà, le mot est dit, que Laurent Naouri revendique (voir l’entretien qu’il nous a accordé).
En sourdine, c’est le titre de l’album, et aussi d’une mélodie de Fauré, sur un sublime poème de Verlaine, et c’est l’esprit du travail de Laurent Naouri et Frédéric Loiseau, parfaitement libres, élégants et tranquillement audacieux. Aux mots, dits amoureusement à fleur de lèvres, s’entremêlent la délicate incertitude des contre-chants de la guitare et ses contrepoints fragiles et songeurs.
Ce traitement convient tout aussi bien à Poulenc. Que ce soit la confidence amoureuse du Dernier poème de Desnos, la sensualité de la Carte postale d’Apollinaire ou l’insolence des Fêtes galantes d’Aragon.
Laurent Naouri, laissant de côté sa grande voix, s’autorise le filet de voix, presque le chuchotis, à deux doigts de la voix parlée et joue les fins diseurs (comme il y avait autrefois des « fines diseuses » au café-concert).
Si Spleen (« Il pleut dans mon coeur…») ou Prison (« Le ciel est par-dessus le toit…») semblaient attendre de tout temps la proximité de ces aveux à mi-voix, la plus grande surprise viendra peut-être des Debussy. L’invention mélodique du Jet d’eau (Baudelaire) ou de Je tremble en voyant ton visage (Tristan L’hermitte), apparaît dans toute sa hardiesse.
Les puristes risquent de ne pas apprécier. Tant pis pour eux !