Voilà un disque qui n’est pas facile à chroniquer et à évaluer. D’habitude, dès la première écoute, parfois en y revenant plus en détail, le critique sait à quelle place dans son panthéon personnel viendra se placer le produit qu’il est en train d’examiner. Au pinacle … ou dans les bas-fonds.
De ce point de vue là, le premier CD du ténor américain Michael Spyres sort de l’ordinaire. Attendu – car cet artiste s’est acquis une solide réputation, notamment au festival Rossini de Wildbad* – il déçoit par la banalité du programme et par certains airs plutôt ratés. Dans le même temps, les qualités réelles du chanteur n’ont pas disparu : le timbre ne manque pas de séduction ; les moyens vocaux sont importants, avec un ambitus étendu (c’est ce qui fonctionnait bien dans l’Otello rossinien) et une technique très solide. Le chant legato est souvent de qualité. Les vocalises et les ornementations ne le mettent pas en difficulté. Alors ?
Il faut prendre ce premier disque pour ce qu’il est : une carte de visite qui enchaîne les tubes, sans grande considération pour une parfaite adéquation avec la vocalité du ténor. Un bref texte de Spyres essaie de justifier la sélection en proposant un voyage autour de l’amour, pour accompagner un héros qui passerait par différents états d’âme. Il n’explique en revanche pas pourquoi il s’agirait nécessairement d’un « fool », d’un imbécile, titre curieux qui jette une ombre sur le projet.
Spyres n’est pas vraiment aidé par l’orchestre simplement routinier, avec des tempi excessivement lents (Eugene Onegin ; l’Arlesiana). Certains choix du chef sont contestables : des scènes sont coupées (celle de Tonio, dans La fille du régiment, perd sa cohérence) ; l’attaque de l’air de Werther (« Toute mon âme est là ») est transposée quelques tons plus bas et, dans le détail, Spyres manque parfois de précision (voir le récitatif de l’air de Lucia).
Sans doute à cause de l’hétérogénéité des airs choisis, qui font passer l’auditeur de Don Ottavio à l’air de Lenski via Rodolfo de la Bohème ou Werther, on a le sentiment que le ténor se cherche. Il a en tout cas du mal à embarquer l’auditeur dans le voyage proposé. Dans la terrible romance de Nadir ou le lamento de Federico, Spyres ne convainc pas, la voix, poussée, étant souvent trop basse. Quant à l’air final d’Edgardo dans Lucia, ilest très au-delà des moyens actuels de l’artiste. Ailleurs, certains aigus partent malheureusement vers l’arrière. La prononciation est aussi à peaufiner, notamment en français. Cela fait beaucoup de points négatifs.
A l’inverse, il est à son meilleur dans The Rake’s Progress, mais aussi dans l’air d’Almaviva ou, plus surprenant en Rodolfo de La Bohème. Le champ des possibles, pour l’avenir, est très ouvert !
De ce programme, on retire la conviction que le ténor a encore du chemin à parcourir. Il lui reste à travailler ses qualités et ses points faibles, alors que son agenda se remplit à grande vitesse avec, en 2012, des débuts à Rome et à l’Opéra Comique dans La muette de Portici. On ira l’y entendre avec grand intérêt.