Dans son parcours britténien, sans doute était-il inévitable que Nicholas Phan en arrive un jour aux Illuminations, cycle majeur dans la carrière du compositeur britannique, après un disque consacré aux Sonnets de Michel-Ange et arrangements de mélodies populaires, et après un superbe récital incluant notamment The Heart of the Matter. Les Illuminations, donc, cette fois, toujours pour le label Avie. Et se posait la question du complément de programme, le cycle d’après Rimbaud ne durant guère plus de vingt-cinq minutes dans les versions les moins vives. En cherchant bien, peut-être aurait-on pu dénicher d’autres œuvres de Britten pour ténor, Peter Pears ayant été une inlassable source d’inspiration. Mais non, il a paru préférable d’associer à Rimbaud Verlaine, avec deux des plus beaux recueils de mélodies laissés par des compositeurs français sur ses poèmes. Donc, ce serait La Bonne Chanson et les Ariettes oubliées
Faut-il alors parler de fausse bonne idée ? D’abord, le monde sonore de Debussy et Fauré n’a guère à partager avec celui de Britten, force est de le reconnaître. Mais après tout, on a vu d’autres associations plus étranges. Non, le vrai problème, pour un auditeur francophone, c’est la langue qui fait le lien entre toutes ces œuvres, la langue française. Beaucoup de sons « a » trop ouverts, à la limite du nasillement, ce qui donne un côté un peu ridicule ; même problème pour nos « e », avec des fleurs qui deviennent des « flors ». Des colonnes surarticulées, ou dans lesquelles passent trop d’air, à l’anglo-saxonne, et même un X intempestif à la fin de « reflux ». Sans écorcher ni brutaliser notre langue, Nicholas Phan n’en manifeste pas moins une familiarité que l’on pourra juger insuffisante pour imposer cet enregistrement dans la discographie.
D’autant qu’il existe un certain déséquilibre entre la manière dont le ténor américain a su s’approprier la musique de Britten, qu’il connaît bien et dont il livre une version réellement personnelle et vécue de l’intérieur, et l’interprétation plus extérieure, plus convenue qu’il donne des deux cycles français. Si l’on fait abstraction des petits défauts de prononciation, c’est une belle appropriation des Illuminations que l’on trouve ici, tant dans les passages apaisés (« Antique » ou « Being Beauteous ») que dans les plages plus véhémentes, avec une impressionnante hargne à la fin de « Parade ». Et c’est là que l’écart se creuse encore entre les deux univers sonores réunis sur ce disque, car le type d’émission qui convient fort bien à Britten dérange un peu chez Debussy et Fauré, où l’aigu laisse entendre un peu trop de vibrato, avec quelques accents presque « opératiques » à la limite de la grandiloquence, ou des effets de falsetto un peu étonnants.
Pour La Bonne Chanson et Ariettes oubliées, chaque fois dans une version pour piano et quatuor à cordes, avec l’excellent Telegraph Quartet et celle qui est un peu la pianiste attitrée de Nicholas Phan, Myra Huang, au jeu fluide et délié. Pour le Britten, c’est l’ensemble The Knights qui recrée avec art l’alchimie britténienne.