Après avoir été sirène, voici qu’Anna Prohaska se fait nymphe. Cette jeune chanteuse allemande (et en partie anglaise) est soutenue à bout de bras par le label Deutsche Grammophon, qui accompagne ses disques de clips promotionnels (le dernier a eu les honneurs de la Vidéo du jour sur Forum Opéra). Son premier disque, Sirène, offrait un programme passionnant, autour du personnage de la nixe, mermaid ou roussalka, en butinant dans le répertoire de plusieurs pays et de toutes les époques : pour la vidéo, c’est « Des Fischers Liebesglück » de Schubert qui avait été retenu, mais on entendait aussi bien du Dowland que du Honegger. Son deuxième récital propose une approche également thématique autour du personnage de Daphné et des nymphes plus généralement, mais avec une fourchette chronologique plus restreinte, de Monteverdi à Haendel, et seulement deux langues, l’italien et l’anglais.
Ce disque est également divisé en deux parties assez distinctes, inégalement convaincantes. Dans la première moitié du programme, Anna Prohaska aborde des airs virtuoses, soit un domaine où l’on ne l’attend pas vraiment. Si elle n’a que rarement abordé la musique baroque à la scène (Poppea dans l’Agrippina de Haendel en 2010, Eupaforice du Montezuma de Graun en 2012), elle a souvent été Blonde dans L’Enlèvement au sérail, ce qui suppose une certaine maîtrise du suraigu. Malgré tout, la voix, très légère, a du mal à habiter les vocalises, ponctuées de quelques soudains aigus piqués et autres effets à la Simone Kermes, dont elle ne possède pourtant pas (encore ?) l’extravagante témérité. « Tornami a vagheggiar » ne procure guère de frisson, malgré une ornementation qui s’aventure dans les notes extrêmes comme le tranchant d’un rasoir, et « Furie terribili » exigerait peut-être plus d’ampleur dans la voix. De manière générale, les couleurs sont belles, la diction est ferme et le ton sait se faire caressant ou mordant, qualités qu’on goûte avant tout dans les airs plus déclamatoires. En anglais surtout, le texte est admirablement mis en bouche, et l’on se dit qu’Anna Prohaska est avant tout une diseuse, suprêmement capable de mettre en valeur les mots qu’elle a à chanter. Les Purcell sont très beaux, sans aucun histrionisme, et distillent cette émotion qu’on ne trouve pas toujours dans les passages virtuoses.
Malgré l’apport appréciable de l’ensemble Arcangelo (qui se fait entendre seul pour de très brèves pauses instrumentales), le programme a un côté frustrant, lié au tronçonnage d’œuvres relativement courtes : la cantate « Raise, raise the voice » de Purcell ne dure qu’une douzaine de minutes, et il aurait été judicieux de l’enregistrer dans son intégralité au lieu de n’en garder que la conclusion (ou de l’exclure, dans la mesure où rien dans son sujet ne se rattache au thème de la nymphe ou de la forêt enchantée). Même remarque à propos de l’Apollo e Dafne de Haendel, certes plus longue, mais dont on trouve ici deux des trois airs de Daphné. Un bonus à signaler : une surprise qui n’est mentionnée nulle part dans le livret d’accompagnement est ajoutée après le Lamento delle Ninfa : le duo « Sweet nymph, come to thy lover » de Thomas Morley, où Anna Prohaska se donne à elle-même la réplique, double tracking déjà pratiqué dans Sirène pour le duo des mermaids dans King Arthur.