A l’en croire, depuis des décennies, elle aspirait en secret à le chanter haut et fort, mais sans trouver le courage nécessaire. Enfin, en septembre 2014, Joyce DiDonato a osé, et non plus seulement dans l’intimité de sa salle de bain : elle a interprété en récital des chansons américaines tirées des meilleures comédies musicales.
Pour ce concert donné au Wigmore Hall, la Yankee Diva avait malgré tout pris quelques précautions, notamment avec une première partie entièrement en italien, et consacrée – au moins en partie – à un répertoire dont elle est familière. La cantate Ariane à Naxos de Haydn lui donne l’occasion de laisser éclater un tempérament que le studio bride parfois, alors que le contact du public la galvanise, lui arrachant souvent ses accents les plus déchirants. Sans solliciter outre mesure la virtuosité de l’interprète, deux « petits » Rossini, permettent d’avancer dans le temps : partie de l’année 1789, cette première moitié se termine au début du XXe siècle, avec la musique très puccinienne d’un certain Francesco Santoliquido, dont les quatre Canti della sera (1908) semblent assez proches du maître de Lucques. Même si elle s’y produit moins souvent, Joyce DiDonato a aussi des affinités avec la musique de cette époque, comme l’a notamment prouvé sa Cendrillon de Massenet.
Après l’entracte venait le coming-out proprement dit, entamé en douceur avec l’exquise mélodie composée en 1862 par Stephen Foster, « Beautiful Dreamer », un grand classique ici revisité par un arrangement qui en renouvelle entièrement le soutien apporté par le piano. Mme DiDonato est ici chez elle, et Erato estime que ses auditeurs sont aussi chez eux, puisqu’il n’a pas été jugé nécessaire de reproduire, même sans traduction, le texte de ce qui est chanté dans cette deuxième partie (pour les airs en italien, le texte original est reproduit, avec version anglaise en regard – même si les paroles de « Non ti scordar di me » ne figurent, curieusement, que dans la langue de Shakespeare…). Aux plages suaves répondent quelques airs plus rythmés ou d’un humour savoureux. De Jerome Kern, très présent dans ce programme, on trouve bien sûr deux airs extraits de l’incontournable Show Boat, mais aussi d’œuvres plus anciennes ou moins fréquentées. Au plaisir d’entendre la DiDonato dans les standards que sont « Over the Rainbow » ou « My Funny Valentine » s’ajoute celui de la rareté, pour l’air tiré de la Magdalena de Villa-Lobos – musical donné au Châtelet en 2010 –, ou de la découverte, avec le cocasse « Love in the Dictionary » de Celius Dougherty (les éclats de rire du public laissent imaginer les mimiques éloquentes qui devaient accompagner le chant). Chronologiquement, le parcours pousse jusqu’en 1978 avec un des Cabaret Songs de William Bolcom, qui devait par la suite composer pas moins de trois opéras.
Justement, ce qui mérite l’admiration, c’est qu’à aucun moment Joyce DiDonato n’essaye de se faire passer pour ce qu’elle n’est pas : la même technique est mise au service du classique et du musical, la voix est la même d’un répertoire à un autre, seul le style change, la musique de ses compatriotes du XXe siècle méritant d’être servie avec les mêmes égards que les compositions plus canoniques. Versatilité et inventivité sont aussi les caractéristiques d’Antonio Pappano au piano. A en juger par l’entente entre la chanteuse et son accompagnateur, on a peine à croire qu’ils n’ont eu qu’une répétition avant le concert, et qu’ils n’avaient collaboré ensemble que pour une production d’opéra et quelques concerts avec orchestre. Le chef laisse entendre qu’ils vont souvent se revoir dans un avenir proche, et l’on ne peut que s’en réjouir !
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