Tant pour son programme, où les découvertes sont nombreuses, que pour ses interprètes, au premier rang desquels Tomáš Král, cet enregistrement vaut le détour. Ayant pour fil conducteur – ténu mais bienvenu – les rois du Nord, il nous offre onze airs, entre lesquels s’insèrent six pages orchestrales. L’Europe du Nord, berceau d’autant de légendes que la Méditerranée, n’a pas attendu Wagner pour que la musique s’en empare.
Sans pour autant leur confier autant de rôles qu’aux castrats, entre Londres et Dresde, avec Hambourg comme autre centre lyrique, le monde baroque du Nord fait la part belle aux emplois de basse. Reinhard Keiser, le maître de l’opéra hambourgeois, est à ce titre le mieux représenté, à travers trois airs, dont deux très rares. Tous ont en commun d’être de couleur sombre. L’émotion de la séparation, plainte à laquelle participe pleinement l’orchestre (Fredegunda), l’imploration que Croesus adresse aux Dieux pour soulager sa peine, enfin le monologue tourmenté, douloureux, d’un Néron sensible (Octavia) sont autant de pages remarquables, servies admirablement. La dernière, récitative, où les ariosos sont entrecoupés d’interrogations comme de petites arias, est exceptionnelle. Il faut rendre à Keiser l’éminente place qui lui est dûe dans la lyrique baroque. On se souvient que Haendel, l’européen, appréciait particulièrement la basse Boschi, réputée malgracieuse, mais vocalement souveraine. Il fut le créateur des deux airs retenus. Le premier, justement célèbre, est extrait de Rodelinda (« Tirannia gli diede il regno ») où Tomáš Král prend les accents du traître cynique. Isacio, de Riccardo primo, n’est pas moins coléreux (« Dell’ empia frode il velo »), dont la vigueur est cependant moindre que celle imposée par Christophe Rousset à sa basse. Le CD s’achève sur le festif air repris par Bach de l’Oratorio de Noël (« Grosser Herr und starker König ») pour l’anniversaire de la Reine de Pologne (n°7 de la Cantate BWV 214), mué en « Kron und Preis ». Jubilatoire à souhait, avec la trompette concertante, c’est toujours un régal. En dehors de ces airs, ceux empruntés à Roman, Schürmann, Heinichen, Attilio Ariosti et Telemann sont rares, connus à travers une seule intégrale, ou d’authentiques découvertes. Impossible de les énumérer, tous méritent notre écoute. Le « Questo mar » (Ariosti), aux aigus clairs et aux traits agiles, nous vaut un superbe dialogue avec le hautbois. Le « Si teme » (Heinichen), animé à souhait, permet aussi d’apprécier les vents, colorés, de l’orchestre. Telemann s’y montre parmi les meilleurs de son temps dans l’air de Damon (« Ihr krachenden Klüfte ») où toute la rhétorique baroque déploie ses affects.
Egale dans un large ambitus, épanouie, rayonnante, agile, la voix de Tomáš Král sert toutes ces pièces avec un réel engagement et un indéniable sens dramatique. Le timbre séduit comme le naturel et l’aisance constante, quelles que soient la virtuosité des traits et la longueur de souffle. On lui souhaite la plus belle des carrières.
La formation que dirige Jarosław Thiel est de la meilleure espèce : le style, les couleurs, la dynamique sont au rendez-vous, dès l’ouverture tonique d’Alfred (de Thomas Arne, le compositeur de Rule Britannia). Qu’il s’agisse d’accompagner notre soliste ou d’illustrer des pages instrumentales, le contrat est parfaitement rempli. Une courante et un menuet d’Almira, le concerto d’Ottone, la chaconne comique et l’intrada de Telemann sont également réussis, avec élégance, toujours dansants.
La notice en anglais, allemand et français, signée Pedro-Octavio Diaz-Hernandez, répond à toutes les attentes, bien documentée, comportant les textes chantés et leur traduction.