Rares sont les enregistrements consacrés à l’opéra romantique italien du début du XIXe siècle (ce qu’on appelle par abus de langage, le Bel Canto*). Encore plus rares sont ceux qui se révèlent véritablement enthousiasmants, tant les amateurs du genre sont attachés aux grandes gloires du passé qui s’y sont illustrées. Ce CD de Klára Kolonits fait donc véritablement figure d’exception avec un programme, varié, difficile, et superbement interprété pour la majorité des titres qui le composent.
Le CD commence néanmoins doucement avec Il Barbiere di Siviglia. Ecrit pour un contralto, le rôle de Rosine fut vite accaparé par les sopranos coloratures aigus, certaines d’entre elles prenant de grandes libertés interprétatives avec la partition. On cite cette répartie du compositeur à la suite d’une exécution de l’air « Una voce poco fa » : « C’est joli, Madame. De qui est-ce ? ». Klára Kolonits ne se livre pas à ces excès et son interprétation reste bien dans le style rossinien, à l’exception d’un aigu final tenu anachronique. Respectueuse, l’exécution manque paradoxalement d’un brin de folie. De là sans doute une impression un peu mitigée.
Air et cabalette de Linda di Chamounix, en revanche, offrent un véritable festival de variations et de contre-notes tout à fait réjouissant. Rendant pleinement justice à ce rôle semiseria, la chanteuse se situe ici dans la lignée d’illustres devancières telles que Mariella Devia et Edita Gruberova.
La scène d’entrée d’Odabella est sans doute l’un des sommets de cet enregistrement. Chantant avec un aplomb et une liberté hors du commun, Kolonits nous rappelle de façon électrisante que les racines du jeune Verdi d’Attila ne sont pas éloignées de celles du Bel Canto (l’ouvrage de Verdi est contemporain des derniers Donizetti). Dans ce répertoire, nous pouvons également entendre le rare « Triomfai ! » extrait de la première version de Macbeth, pour une fois chanté avec les moyens nécessaires : il est rare d’entendre les reprises de pages verdiennes avec des variations, qui plus est convaincantes. En l’occurence, Kolonits réalise une véritable prouesse avec cette air qui renouvelle l’interprétation des premiers opéras de Verdi sans en trahir le style.
La scène de folie d’I Puritani demanderait sans doute un surplus d’introspection : l’interprétation est là encore impeccable, mais un peu extérieure. Les variations sont en revanche originales, avec une curieuse cadence finale, totalement inédite, avant le suraigu conclusif. Celles d’Anna Bolena ou de Lucrezia Borgia sont tout à fait passionnantes. Trilles, vocalises rapides, notes piquées semblent un jeu pour cette artiste et, si la voix manque de la largeur nécessaire, on lui en fait volontiers grâce. Ajoutons que Kolonits sait parfaitement alterner les multiples ambiances de la grande scène de Bolena, jusqu’à une cabalette finale incandescente quoique prise sur un tempo un peu rapide. Ainsi, au jeu des comparaisons, si l’on devait chercher une référence, il faudrait moins se tourner du côté de Joan Sutherland que de celui de Beverly Sills (avec un timbre un peu plus agréable mais un peu blanc).
Il serait injuste de réduire le soprano hongrois à un simple phénomène vocal, une machine à cadences. Ses interprétations des airs lents sont très réussies, la chanteuse compensant un léger manque de coloration par une accentuation juste du texte. « Oh, quante volte » extraits d’I Capuleti e i Montecchi, ou la prière de Giselda dans I Lombardi, témoignent d’une belle poésie interprétative, avec de beaux piani et des aigus couverts évanescents.
L’orchestre et les chœurs, de qualités correctes, sont dirigés avec efficacité par Dániel Dinyés : néanmoins, un chef mieux rompu à ce répertoire aurait permis à ce CD de se hisser encore plus haut.
*Historiquement, le Bel Canto se réfère l ‘opéra des XVIIe et XVIIIe siècles, époque dominée par les castrats, et où l’art lyrique repose sur une parfaite maîtrise de la technique vocale, mêlant virtuosité, étendue des tessitures, beauté des timbres… Rossini est souvent considéré comme le dernier compositeur belcantiste. L’opéra romantique, représenté par Donizetti et Bellini, replace le sentiment au centre de l’œuvre. Il est communément baptisé « Bel Canto » dans le langage courant.