L’ensemble Constantinople propose ici un nouvel exemple de ce qui fait son ADN, soit la rencontre entre les musiques d’horizons divers. Fondé en 2001 à Montréal par son directeur artistique Kiya Tabassian, l’ensemble, nommé d’après la cité qui par excellence incarnait le pont entre l’Orient et l’Occident, se conçoit comme un espace de métissages musicaux.
Pour cette « porte d’orient », ce sont des chants perso-ottomans et de la Renaissance italienne qui s’entremêlent autour de deux œuvres clés, d’une part, un manuscrit ottoman du début du XVIIe siècle, écrit par le musicien et orientaliste d’origine polonaise Ali Ufki, et d’autre part, le texte de La Jérusalem Délivrée de Torquato Tasso, mis en musique par Monteverdi. La force de cet enregistrement est donc de donner ainsi vie à ce manuscrit d’Ali Ufki et de convoquer, notamment, une belle palette de compositeurs, tels Caccini, Strozzi, Monteverdi, Borrono ou encore des anonymes.
Si la composition de cet enregistrement n’est donc pas forcément facile d’accès, il suffira de se laisser porter par la beauté des mélodies et la poésie de l’univers littéraire convoqué. Car c’est en réalité la voix et les instruments qui constituent le liant de cet enregistrement, son fil rouge qui lui confère une belle cohérence et rendent ce « métissage » particulièrement réussi. C’est le ténor italien Marco Beasley, voix incontournable de la Renaissance auquel l’ensemble Constantinople a décidé de faire appel. La voix n’est pas lyrique et tente de se rapprocher du plus près possible de ce que pouvaient entendre les spectateurs de l’époque. Le chanteur se prête aisément à l’exercice, alliant le parlé au chanté, et passant, forcément, d’une langue à l’autre, avec une belle aisance et une émotion bien calibrée.
Côté instruments, on appréciera particulièrement la belle diversité de type de sons qui nous sont donnés à entendre, du sétar persan de Kiya Tabassian à la guitare baroque de Stefano Rocco, en passant par le luth de Fabio Accurso, le violon baroque de Tanya LaPerrière, la viole de gambe de Pierre-Yves Martel, le kanun de Didem Basar et la multipercussion de Patrick Graham. Cette grande diversité n’est jamais cacophonique tant elle est dirigée avec grande sensibilité par Kiya Tabassian et aboutit en réalité à une belle osmose, cohérente et harmonieuse, qui permet de remporter le pari de la rencontre euphorique et féconde d’univers différents.