Nuitter et Tréfeu ne sont pas Meilhac et Halévy, mais La Princesse de Trébizonde n’en est pas moins un très bon Offenbach, supérieur à bien des compositions post-1870. C’est aussi une oeuvre scandaleusement négligée par le disque. Pour ce grand succès qui eut le malheur d’arriver peu avant la guerre franco-prussienne, pas trace d’un seul enregistrement, même dans la défunte série « Gaieté lyrique » chez Musidisc, pourtant si riches en perles. Autant dire que la version radiophonique publiée par Malibran comble une lacune de taille dans la discographie. Evidemment, il faut se soumettre aux pratiques de la RTF déjà plusieurs fois dénoncées : une fois de plus, le rôle travesti du prince Raphaël, qui a droit aux plus beaux airs de cette partition, est confisqué à la voix de mezzo pour être confié à un ténor (heureusement, personne n’eut alors l’idée de faire chanter Chérubin ou Octavian par des hommes). Ironie du sort, le résultat sonne infiniment plus mièvre que si le duo Raphaël-Zanetta était interprété par deux femmes comme prévu, mais heureusement, ces temps sont révolus et les représentations récentes, à Saint-Etienne, à Limoges ou à Baden-Baden, respectent désormais cette composante. Un motif de satisfaction quand même : la partition n’est par ailleurs pas trop mutilée, malgré quelques menues coupes ici et là. Et Marcel Cariven est un chef rompu à la direction des opérettes, qu’il assurait régulièrement à la tête de l’orchestre de la radio.
Ténor suave, Aimé Doniat est charmant mais ne peut donner à son chant la sensualité qu’y mettrait une mezzo, notamment dans les inénarrables couplets du mal de dents. On connaît l’abattage de Lina Dachary, pilier de tant d’intégrales d’opérettes et d’opéra-comiques. Pour nous être un peu moins familière, ses partenaires féminines n’en sont pas moins présentes : belle voix chaude pour la Régina de Nicole Briard, personnalité affirmée pour Germaine Duclos en Paola. Robert Destain a toute la faconde attendue en Cabriolo, et sur ce terrain, Gaston Rey lui donne parfaitement la réplique ; seul Raymond Amade fait un peu plus pâle figure en Trémolini. Dommage que le savoureux air des cannes, chanté par le prince Casimir, souffre d’un petit problème technique (des raccords étranges dans la bande font qu’au deuxième couplet, il manque plusieurs secondes par-ci, par-là), d’autant que Joseph Peyron est, pour une fois, tout à fait à sa place et se montre assez déchaîné.
En complément de programme, une très étrange version de Monsieur Choufleuri restera chez lui le…. Si l’on pouvait prévoir que Michel Sénéchal serait assez idéal en Chrysodule Babylas, André Balbon est plus (excellent) acteur que chanteur et l’exquise Line Clément manque parfois de puissance. Curieusement, le chœur est lamentable, comme s’il découvrait la partition pour la première fois. Les solistes eux-mêmes ont parfois du mal à chanter au même rythme que l’orchestre. Surtout, ce qui déconcerte, c’est le mélange de coupures et d’ajouts que cet opérette-bouffe a subi. Cela commence par la suppression du délicieux air d’Ernestine sur lequel s’ouvre l’œuvre, et cela continue avec la suppression systématique des reprises et de plusieurs passages importants dans les ensembles. Bizarrement, deux personnages ont été ajoutés, Monsieur et Madame Zéphirin, et l’on a même introduit une page purement instrumentale, un ballet dont les premiers instants parodient celui de Faust avant de dégénérer en danse paysanne, puis de reprendre un des interludes de La Grande-duchesse de Gérolstein (« Bonne nuit » et « A cheval »). Mieux vaut oublier cette bizarrerie-là et se rabattre sur la version EMI de Choufleuri dirigée par Manuel Rosenthal.