Son titre, jugé discriminatoire, serait aujourd’hui frappé de plein fouet par la « cancel » censure. A l’époque de sa création, en 1872, c’est surtout son livret qui attira les foudres de la critique. Qualifiée de « petit poème prétentieux où l’enfantillage se mêle à l’entortillage » par Le Moniteur universel, La Princesse jaune, ne connut que cinq représentations avant de disparaître de l’affiche. Ce troisième des treize opéras de Camille Saint-Saëns, dans l’ordre de composition, fut le premier à être – brièvement – présenté au public, rappelle Vincent Giroud dans un nouveau livre-disque enregistré par le Palazzetto Bru Zane au cœur de la pandémie en février 2021.
L’intrigue imaginée par Louis Gallet, le librettiste de Thaïs, peut effectivement sembler mince. Obsédé par le portrait d’une princesse asiatique, Kornélis, un artiste peintre hollandais, délaisse sa cousine Léna. Une potion magique, bue pour donner vie à son fantasme, lui remettra le cœur à l’endroit. De ce bref ouvrage en un seul acte, la postérité n’a retenu que l’ouverture teintée d’un exotisme de bon ton, conformément au goût de l’époque. Mais Ernest Reyer – le compositeur de Sigurd – relevait de ci, de là quelques trouvailles du meilleur effet combinées à une instrumentation « remplie de jolis détails, d’ingénieux accouplements de timbres et d’effets imitatifs on ne peut mieux réussis ». Hommage d’un wagnérien à un musicien alors taxé de wagnérisme – accusation souvent formulée à l’encontre de Saint-Saëns dans les années 1860-1870 ?
Le raffinement instrumental souligné par Reyer trouve en Leo Hussain le meilleur des ambassadeurs. Les affinités de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse avec la musique française ne sont plus à démontrer. Si cette Princesse Jaune chatoie, c’est d’abord à la lumière d’une direction musicale sans cesse inspirée. Le rôle de Kornelis fut confié lors de la création à Paul Lhérie, le premier Don José de Carmen, reconverti plus tard en baryton – ce qui lui permettra d’ajouter Escamillo à son palmarès ! Pas exactement le profil vocal de Mathias Vidal et pourtant, nul ne contestera la légitimité du ténor français dans cette partition, tant il fait siennes d’une voix dont on apprécie la caresse, les rêveries poétiques et les délires amoureux du jeune peintre. Judith van Wanroij n’a pas autant d’atout à faire valoir, à commencer par la clarté de la diction française, mais le rôle de Léna, amoureuse délaissée, trouve ainsi une justification dramatique que trop de séduction aurait pu compromettre.
A 37 ans, Saint-Saëns fourbissait donc des prétentions lyriques dont seul Samson et Dalila, envisagé à l’origine comme un oratorio plus qu’un opéra, confirmera la légitimité. C’est d’ailleurs « dans l’ombre de Samson », composé peu ou prou en même temps, qu’Alexandre Dratwicki, le directeur artistique du Palazzetto Bru Zane place La Princesse Jaune, en ce qui tient lieu de préface à cette nouvelle publication : « Davantage que toutes les précédentes pages lyriques de Saint-Saëns, La Princesse jaune cultive le goût dominant de la France romantique pour l’exotisme et le voyage ».
Ce goût d’un orient fantasmé s’affirme aussi à travers les six Mélodies persanes que la brièveté de La Princesse jaune impose en complément de programme. Si l’orchestre, toujours placé sous la direction de Leo Hussain, continue d’enchanter, les six pages du cycle ont été confiées à des interprètes différents avec des degrés divers d’accomplissement. Comme précédemment, le masculin – Philippe Estèphe, Jérôme Boutillier, Artavazd Sargsyan – prend l’avantage sur le féminin en termes de timbre et de diction, Eleonore Pancrazi exceptée. Conçu à l’origine pour voix et piano puis transmuté plus tard par Saint-Saëns lui-même en Nuit persane avec solistes, chœur et orchestre, le cycle a pour l’occasion été dépouillé de ses interventions chorales, réagencé et agrémenté d’un court prélude et d’un interlude symphoniques. Ce reformatage a été imaginé pour que l’œuvre puisse retrouver le chemin des salles de concert et être éventuellement confiée à un seul interprète, à l’exemple des Nuits d’été de Berlioz. Louable entreprise de réhabilitation qui pose cependant la sempiternelle question de l’intégrité musicale d’une partition.