Fabuleuse corne d’abondance dans laquelle Haendel piochera régulièrement pour en recycler des pépites, sa production italienne recèle d’éclatantes réussites tant dans le domaine de la cantate (La Lucrezia, Armida) que dans celui de l’opéra (Agrippina) ou de l’oratorio avec cette Resurrezione créée à Rome le dimanche de Pâques 1708. « La maîtrise technique et stylistique, l’imagination orchestrale, la justesse expressive de ce jeune voyageur qui venait juste de fêter ses vingt-trois ans tiennent ici du prodige ! » s’enflamme Ivan A. Alexandre et nous partageons sans réserve son admiration.
Haendel se retrouve un peu comme Charlie dans la chocolaterie – une comparaison qui n’offusquerait probablement pas ce bon vivant – : le marquis Ruspoli, commanditaire de l’œuvre et protecteur du Saxon, lui donne accès à des ressources instrumentales dont il ne disposera plus jamais et qui vont stimuler une invention déjà profuse. Il conçoit « l’orchestration la plus précise et la plus soignée » (Ivan A. Alexandre) qu’il ait jamais couchée sur du papier à musique : airs à quatre parties de violons – la formation aligne trente-quatre cordes emmenées par rien moins que Corelli ! –, à deux flûtes, en concerto grosso avec oboe sorde, avec trompettes ou archiluth… Or, cette partition exubérante et constamment inspirée demeure étonnamment peu fréquentée. La faute en incombe peut-être au livret de Capece, mal ficelé et dépourvu de tension dramatique. Néanmoins, c’était déjà le cas de la pièce spéculative à l’origine d’Il trionfo del Tempo e del Disinganno (1707), premier oratorio italien de Haendel, qui retient pourtant davantage l’attention des producteurs et dont les carences n’ont pas découragé des metteurs en scène tels que Krzystof Warlikowski, Ted Huffmann ou Ludger Engels.
La Resurrezione juxtapose plus qu’elle ne noue deux fils qui s’articulent en deux journées. Elle s’ouvre sur un Ange qui, au seuil des Enfers, proclame la victoire du Christ sur l’impudent Lucifer. Il conduit ensuite « la descente aux Enfers » où les âmes des Justes, menées par Adam et Ève, sont libérées de leur esclavage – selon la tradition chrétienne, à l’aube du Samedi Saint. Entre temps, à Jérusalem, Marie-Madeleine et Marie Cléophas, plongées dans l’affliction, recouvrent espoir quand Jean l’Évangéliste leur rappelle la promesse de Jésus de revenir auprès d’elles le troisième jour. Le dimanche de Pâques, au matin, l’ange vainc Lucifer en lui montrant les deux Marie qui se rendent sur le tombeau vide, puis il leur apparait également et annonce la résurrection du Christ.
Douze ans après avoir dirigé Lucy Crowe et son English Concert dans un récital consacré à la période italienne du compositeur (« Il caro Sassone »), Harry Bicket ne s’est pas bonifié et sa tiédeur s’avère toujours aussi exaspérante, lissant les reliefs, édulcorant les contrastes et privant la plupart des numéros de leur juste énergie. « Disseratevi, o porte d’Averno » (Angelo), le feu d’artifice en ré majeur qui suit l’ouverture de La Resurrezione, vire au pétard mouillé : un manque criant de nerf, des coloris délavés et des trompettes noyées dans une mollesse dont la direction ne se départira que trop rarement. Le soprano a perdu en flexibilité (sauts d’intervalle) et les suraigus frisent parfois l’étranglement. Lucifero a plus de chance et nous offre d’ailleurs la seule bonne surprise de cet enregistrement : « Caddi, è ver » révèle le grain nourri d’Ashley Riches, baryton-basse ferme, délié et très en verve, probablement trop au goût de certains, mais la grandiloquence du personnage ne demande pas autre chose. Par contre, la langueur de Bicket escamote l’urgence de « O voi, dell’Erebo » et installe les Enfers au boudoir…
« Ferma l’ali » nous réjouit d’abord, mais l’illusion ne dure guère : idoine de ton, le matériau évoquant parfois Jennifer Smith, Sophie Bevan semblait parfaite en Maddalena, mais l’expression ne se renouvelera guère et restera à la surface des mots. L’élan (relatif) qui anime le duetto de Maddalena et Cleofe (« Dolci chiodi, amate spine ») tient surtout à l’engagement de Iestyn Davies. Une fois encore, l’interprète se distingue par la finesse et par la richesse de ses intentions (la section B de « Naufragando va per l’onde »), mais sa partie requiert des graves plus charnus et des couleurs profondes (« Piangete, sì, piangete »), que possédaient aussi bien Carolyn Watkinson (Hogwood) que Sonia Prina (Haïm). Si « Quando è parto » flatte la beauté juvénile de son ténor aigu, déjà remarqué chez Haendel ou Purcell, Hugo Hymas semble livré à lui-même et peine à sortir de sa réserve (« Ecco il sol ch’esce dal mare »). Mais où sont donc passées les saisissantes cascades de cordes qui zèbrent l’azur pour évoquer le rapace ravissant la tourterelle du nid (« Così la tortorella ») ? Bicket les a manifestement gommées ! Cette intervention présomptueuse et castratrice trahit une incompréhension totale du génie de Haendel et finit de discréditer un enregistrement dispensable.
Nous en resterons à la lecture visionnaire de Marc Minkowski, qui domine une maigre et décevante discographie (Hogwood, McGegan, Koopman, Haïm), tout en espérant découvrir un jour la proposition de chefs de l’envergure de Fasolis, Petrou, Cummings ou Noally.