Pourquoi un bijou comme Le Roi malgré lui souffre-t-il encore d’une malédiction durable ? On se rappelle que Gérard Mortier arrivant à Paris en avait annulé la venue à Garnier, rattrapée in extremis par une série de représentations Salle Favart. Certes, le livret en est passablement confus, mais la musique en est tellement merveilleuse ! Chabrier y distille ses harmonies uniques tout en se livrant à un exercice frôlant plus d’une fois la parodie du grand-opéra à la française, avec ces vastes scènes de conspiration rappelant Les Huguenots. Jusqu’ici, il n’existait guère que la version de studio gravée en 1984 par Charles Dutoit, un peu pénalisée par certains chanteurs dont le français, bien que correct, n’est pas toujours des plus naturels.
La présente captation nous ramène un quart-de-siècle auparavant, aux grandes heures de la RTF. Que les dialogues parlés soient remplacés par l’intervention d’une récitante, on l’accepte, même si la distribution entièrement francophone (heureuse époque !) et rompue à cette discipline aurait sans doute été fort capable d’interpréter des dialogues réduits à l’essentiel. Mais pourquoi, dans ces concerts radiodiffusés, fallait-il toujours supprimer l’ouverture et tant d’autres morceaux à sa suite ? Sans ces trop nombreuses coupes, on tiendrait là une version parfaitement apte à rivaliser avec l’unique intégrale disponible, et en attendant que la superbe production conçue par Laurent Pelly pour l’Opéra de Lyon en 2004 connaisse les honneurs du DVD, comme elle le mériterait pleinement.
Cette version nous montre en effet sur quels artistes la France pouvait compter, il y a un demi-siècle, pour interpréter les chefs-d’œuvre de son répertoire, en puisant dans un vivier d’artistes pratiquant aussi bien l’opérette que l’opéra-comique.
Willy Clément est le plus charmeur des Henri de Valois : pour être l’idôle du public dans le répertoire d’opérette, il n’en était pas moins un authentique chanteur d’opéra-comique, un Pelléas ou un Frédéric de Lakmé. Face à lui, Janine Micheau est la plus somptueuse Minka qu’on puisse imaginer, une voix habituée à Leila ou Micaéla, qui confère une dimension inattendue au personnage de le petite esclave polonaise. Michel Cadiou est exquis en Nangis, d’un enthousiasme juvénile parfaitement adapté. Xavier Depraz campe un Laski d’une belle noirceur, et Marcel Enot se donne la peine de donner un accent italien à Fritelli, quitte à ressembler parfois au Valzacchi du Chevalier à la rose. Seule Christiane Castelli ne paraît pas toujours très à l’aise dans le rôle d’Alexina, parfois confié à une mezzo.
On la retrouve en revanche en grande forme dans Une éducation manquée, avec une Claudine Collart, plus ingénue que nature, formant avec elle un couple d’une grâce toute mozartienne et, en la personne de Xavier Depraz, une authentique basse dans un rôle où l’on s’est parfois autorisé à distribuer des barytons trop légers. Christiane Castelli est également magnifique dans les quatre mélodies de Chabrier incluses en complément de programme, dont « Fileuse » qui est en fait un air tiré de l’opéra Gwendoline.