Bien avant d’être initié, en 1784, Mozart a été influencé par les idéaux et la symbolique de la maçonnerie de son temps, nombre d’œuvres en portent la marque. Travaillant à la loge « Zur Wohltätigkeit » [de la bienfaisance], puis à celle nouvellement constituée « Zur neuen gekrönten Hoffnung » [De la nouvelle espérance couronnée] il y fut assidu jusque trois semaines avant sa mort, quand il écrivait « Laut verkünde unsre Freude » [Proclamons haut et fort notre joie]. L’affichage des soi-disant secrets des francs-maçons demeure un argument de vente, en témoignent les numéros que nos hebdomadaires y consacrent annuellement. Il en va de même pour certains labels discographiques qui en abusent en publiant sous cet intitulé des compilations allant d’extraits de la Flûte enchantée à des nocturnes et des divertimenti, quand le CD n’est pas complété par des pièces rosicruciennes de Satie ou Finlandia, au motif que Sibelius était également maçon. Le corpus des œuvres strictement maçonniques de Mozart est assez facile à circonscrire : neuf pièces directement destinées au rituel et aux agapes, un point c’est tout. Comme leur durée est insuffisante à remplir un CD, le complément est assuré par une œuvre ou un extrait dont le sens est lié à la franc-maçonnerie. Avant la publication de ce CD, seuls cinq enregistrements ont répondu à ce programme : dirigés par Peter Maag (Vox), Istvan Kertesz (Decca), Martin Haselböck (Brillant), Wolfgang Brunner (CPO) et Roberto Paternostro (Naxos). Ici, les entractes de Thamos constituent le complément, légitime dans la mesure où la pièce véhiculait les idéaux maçonniques, le librettiste (Gebler) étant lui-même franc-maçon. Mais l’intérêt réside tout particulièrement dans la réalisation, qui s’appuie sur les travaux musicologiques les plus sérieux, sinon les plus récents. C’est ainsi que la Musique funèbre maçonnique, K.477, connue à travers sa version pour cordes, présumée composée pour une cérémonie funèbre à la mémoire de deux frères de son atelier, s’est révélée avoir été écrite antérieurement, avec des parties vocales, pour une élévation à la maîtrise, en 1785. Philippe A. Autexier a étayé cette hypothèse et proposé une reconstruction qui a été admise par la communauté des chercheurs, dès 1985. C’est cette version qui est offerte par l’enregistrement.
Au cœur de la réalisation on trouve le ténor John Heuzenroeder, remarquable mozartien, stylé sans la moindre affectation, un vrai Pamino, aux aigus clairs et ronds. C’est un bonheur constant que de l’écouter. Les interventions ponctuelles du pianoforte comme de l’orgue d’appartement sont parfaitement appropriées et participent à la variété du programme. Le chœur des neuf chanteurs excelle à chacune de ses interventions, dont on retiendra plus particulièrement la cantate « Dir, Seele des Weltalls » et la reconstruction de la Musique funèbre maçonnique, devenue « Meistermusik ». L’orchestre, dirigé par Michael Alexander Willens est un modèle de justesse stylistique. Les entractes de Thamos, vigoureux, colorés, sont splendides et nous font espérer d’autres réalisations. Un enregistrement qui devrait rallier tous les suffrages tant il domine ses concurrents par ses qualités et par son approche.
Le livret d’accompagnement, trilingue (anglais-allemand et français), bien documenté, comporte les textes chantés et leur traduction anglaise.