Un tout petit acte de moins de cinquante minutes, ce qui ne manque pas de poser problème aux directeurs de maison d’opéra qui souhaitent le mettre à l’affiche (il est toujours difficile de trouver le complément de programme idéal). Quatre chanteurs seulement, mais aussi un chœur et, presque inévitablement, un corps de ballet pour occuper la scène pendant les très nombreuses danses. Pygmalion est sans doute moins lourd à monter que bien d’autres Rameau mais n’est pas pour autant facile à présenter. Au disque, c’est autre chose, et l’on peut depuis longtemps s’en procurer plusieurs versions. A l’aube des années 1980, Gustav Leonhardt en grava une première intégrale, avec notamment Rachel Yakar en Amour. Nicholas McGegan avait, de son côté, dirigé les forces de l’English Bach Festival, avec Anne-Marie Rodde pour toute présence francophone (version jamais reportée en CD). En 1992, William Christie prendrait le relais, avec ceux qui avaient été les héros d’Atys : Howard Crook et Agnès Mellon. Un peu plus récemment, en 2010, est paru chez Centaur un live new-yorkais où brille Mathias Vidal.
Alors pourquoi un nouveau Pygmalion ? D’abord parce que Christophe Rousset est l’un des chefs qui ont le plus à dire dans ce répertoire. Vingt ans après en avoir dirigé l’ouverture pour un disque sorti chez L’Oiseau-Lyre, le chef aixois a pu en ce début d’année enregistrer l’œuvre dans son intégralité, durant son séjour au Theater an der Wien pour une série de représentations de The Fairy Queen. Les Talens Lyriques s’ébattent comme chez eux dans la musique de Rameau, à laquelle ils savent conférer vigueur sans brutalité, délicatesse sans amollissement. L’orchestre conserve à chaque instant une distinction qui n’a rien de guindé, et cet art est particulièrement mis en valeur dans la suite des Fêtes de Polymnie incluse en complément de programme (superbe ouverture).
Ensuite, parce qu’il existe désormais des artistes francophones parfaitement capables d’interpréter cette musique sans que le texte soit sacrifié. Dommage seulement que Pygmalion soit aussi bref : au moins y trouve-t-on comme un condensé de ce dont Rameau était capable en matière de dialogue et de déclamation lyrique, avec en prime un air virtuose à la fin de l’œuvre. A peine a-t-on le temps de les voir passer que l’acte est déjà fini. Il faut donc saisir au vol les beautés de cette partition, en sachant qu’en dehors du rôle-titre, les différents personnages n’auront chacun qu’une seule intervention.
Etant prévenus, vous savourerez d’autant plus la trop courte intervention de Marie-Claude Chappuis, Céphise véhémente, d’une majesté quasi-racinienne, véritable tragédienne que l’on a hâte de retrouver dans un rôle plus développé. Eugénie Warnier est un Amour conquérant. Céline Scheen trouve la voix de pierre qui convient aux premiers mots de la Statue, non sans s’humaniser peu à peu. Même le Chœur Arnold Schoenberg n’a que quelques minutes pour se faire entendre, dans un excellent français.
Et puis il y a bien sûr Cyrille Dubois, qui se coule à merveille dans un répertoire où on a pourtant assez peu l’occasion de l’entendre sur scène ou au concert, happé qu’il a déjà été par Mozart ou l’opéra-comique du XIXe siècle. Son timbre haut placé lui permet d’aborder sans difficulté les rôles de haute-contre à la française, auxquels il donne une fermeté bienvenue, avec une science du phrasé fort appréciable dans les monologues de Pygmalion.
Ces arguments suffiront-ils ? La concurrence ne manque pas d’atouts, puisque William Christie offre comme couplage le rare Nélée et Myrthis, tandis que le label Centaur a choisi la cantate « L’Impatience ». A vous de décider ; si vous n’avez pas encore de Pygmalion, il serait dommage de vous priver de ce Rameau-là.