Le battage médiatique autour de cet album est depuis quelque temps tellement intense qu’il semble désormais difficile d’en ignorer l’existence. C’est le fruit d’une rencontre quasi filiale entre Natalie Dessay, qui veut désormais se consacrer à autre chose que la scène lyrique, et Michel Legrand, compositeur de chansons, de musiques de films triplement oscarisé, jazzman (il a fait jouer Miles Davis) et chanteur qu’on ne présente plus. Le programme nous propose une sélection de tubes du musicien et nous passons de titres écrits pour Claude Nougaro (Le cinéma, Le rouge et le noir…) à des chansons tirées des comédies de Jacques Demy et de films américains (Les parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort, Peau d’âne, L’Affaire Thomas Crown, Un Été 42, Yentl) ou d’autres encore à peine moins connues.
L’accompagnement n’a rien de superlatif, bien au contraire, puisqu’il est ici constitué d’un classique trio de jazz : piano, contrebasse et batterie qui sait parfaitement servir d’écrin aux voix qu’il est chargé de soutenir. Les trois musiciens, virtuoses, ne tirent jamais la couverture à eux, même si ponctuellement ils se font remarquer en remplissant les silences des voix.
Pour Natalie Dessay, le challenge principal a été de passer le plus souplement possible de sa voix « d’opéra » habituelle à une voix plus blanche, convenant mieux au répertoire qu’elle s’est décidée à défendre. Globalement, le pari est réussi même si par endroits, certains enchaînements de notes sans doute peu confortables à exécuter font ressortir immédiatement la fabuleuse technique de la chanteuse. Là où la Dessay est véritablement bluffante, c’est qu’elle parvient à nous transmettre énormément d’émotion (la chanson qui commence le disque en est un bon exemple), ce que ses collègues cantatrices ayant tenté des aventures musicales semblables n’ont que trop peu réussi à faire. L’ensemble est donc une incontestable réussite (écoutez Les conseils de la fée des lilas, c’est sobre, juste, magnifique).
Quelques duos parsèment également le disque. Le premier est avec Michel Legrand sur La Valse des Lilas et il faut avouer qu’il passe assez bien. Toujours avec les mêmes, Les Moulins de mon cœur est un peu moins convaincant, surtout sur la fin où les deux chanteurs se répondent rapidement, la voix masculine accusant tout de même son âge, ce que l’on ne peut lui reprocher. Dans un autre genre, La Chanson des Jumelles bénéficie de la présence de Patricia Petibon qui a été visiblement moins à l’aise dans le fait de « brider » sa voix et qui nous donne une Delphine peut-être un peu trop lyrique. Un des autres titres incontournables de la production de Michel Legrand est le duo a priori lacrymogène des Parapluies de Cherbourg, entre Guy et Geneviève. Natalie Dessay a ici fait appel à Laurent Naouri – son époux à la ville – et le résultat, évitant tout pathos inutile, est là aussi vraiment très beau. Pour finir l’album, la harpiste Catherine Michel (Mme Michel Legrand), se joint au trio et à Natalie Dessay pour interpréter une émouvante chanson posthume de Claude Nougaro, Mon Dernier Concert.
Un répertoire en or servi par des musiciens du même métal (et sur un enregistrement Erato) ; que demander de mieux ?
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