« Nous voulions par ce programme rendre l’affliction, le repentir et la joie, le désir à travers des pages profanes et sacrées de ces deux compositeurs ». C’est Sabine Devieilhe qui énonce en ces mots la thématique et la raison d’être de ce nouvel enregistrement consacré à Bach et Haendel. Pas même besoin de mots pour justifier ce programme à nos yeux. Par un choix judicieux d’œuvres que beaucoup sépare pourtant, elle compose avec Raphaël Pichon et l’ensemble Pygmalion une sorte de macro-oratorio, un opéra seria de poche qui ne laisse nullement indifférent.
Le premier intérêt réside dans l’opposition nette de Haendel et Bach, malgré la thématique qui les unit. Chacun traite les tourments ou la douleur à sa façon : Bach par le raffinement mélodique et les circonvolutions harmoniques vertigineuses, Haendel par le drame opératique saisissant qu’on lui connaît. Agencés selon des proximités de tonalités et d’instrumentation, les numéros parfois épars (tirés de la Brockes-Passion, de Giulio Cesare ou du Livre de chants de Schemelli) s’enchaînent comme s’ils avaient été écrits pour être joués ensembles.
Le chant sacré « Mein Jesu! was vor Seelenweh » donne la couleur de cette enregistrement. Délicatement accompagnée de Thomas Dunford, Sabine Devieilhe tire le meilleur de ce petit bijou à la ligne sinueuse aux enchaînements harmoniques bouleversants. La Sinfonia de la cantate Wir müssen durch viel Trübsal est un interlude d’une vigueur époustouflante, où Matthieu Boutineau s’acquitte de son solo d’orgue avec brio.
La cantate Mein Herze schwimmt im Blut retrouve le recueillement douloureux qui ouvrait l’enregistrement. On s’éprend particulièrement de l’air « Stumme seufzer, stille Klagen », où la ligne de chant s’enroule autour d’un solo de hautbois qui ferait pleurer les pierres. La voix de Sabine Devieilhe y est d’une luminosité idéale, et si quelques grincheux lui reprocheront telle voyelle trop ouverte, on leur rétorquera que c’est une bagatelle à payer pour que les timbres de la voix et de l’instrument se confondent aussi bien.
Le passage à Haendel se fait dans le drame. La baguette jusqu’alors lumineuse et rayonnante de Raphaël Pichon est soudainement plus tourmentée, plus opératique, puisque d’opéra il s’agit (on se paye même le luxe d’un Stéphane Degout pour la réplique de la Brockes-Passion). Plus exposée vocalement, Sabine Devieilhe ne souffre aucunement des difficultés de l’écriture händelienne. Son « Piangerò la sorte mia » culmine sur un contre-ré qui semble pourtant d’une facilité confondante.
Postlude optimiste à un programme sombre, la cantate Jauchzet Gott in allen Landen nous montre la face vocalisante de la chanteuse. On goûte aussi aux brillants solos intrumentaux de l’ensemble Pygmalion dans cette œuvre qui culmine sur un « Alleluia » tendrement jubilatoire. Le cheminement psychologique de la douleur à la délivrance qui nous est offert constitue la réelle force de ce programme, combiné avec intelligence, musicalité et sensibilité.