D’Alessandro Stradella, on connaît désormais bien le San Giovanni Battista (1675). Cet oratorio offre aux ensembles baroqueux une belle occasion d’explorer la confrontation du prophète avec le personnage de Salomé, même s’il est au XVIIe siècle beaucoup moins sulfureux qu’il ne le deviendrait plus tard. Autre confrontation à peine moins palpitante, l’affrontement entre saint Jean Chrysostome et l’impératrice Eudoxie, que devait en 1893 représenter Jean-Paul Laurens sur une célèbre toile. Face aux mœurs dissolues de la cour de Byzance, l’évêque se serait même exclamé : « Hérodiade danse toujours ! Hérodiade demande la tête de Jean, et on lui donnera la tête de Jean parce qu’elle danse » (l’impératrice n’obtint pas sa tête, mais le fit exiler, et mourut l’année suivante). L’oratorio de Stradella se conclut logiquement sur le triomphe d’Eudoxie, mais non sans souligner que ce triomphe n’est que terrestre, tandis que l’infortune de Chrysostome sera compensée par l’accueil que lui réserve le Ciel.
Du San Giovanni Crisostomo, on ne conserve qu’un manuscrit antérieur à 1680, mais l’on ignore tout de sa date de composition et d’exécution. C’est cette partition qu’a choisi d’interpréter Andrea De Carlo à la tête de son ensemble Mare Nostrum, constitué de sept instrumentistes stylés et disciplinés. Comme souvent dans les Histoires sacrées, le récit est confié à un narrateur (ténor), et autour des deux protagonistes figurent un envoyé de Rome, l’évêque Théophile d’Alexandrie, les conseillers et les courtisans de l’impératrice. Comme à l’opéra, les récitatifs suivent le fil de l’action, les airs et duos s’attardent sur différents affects ; expressivité pour les uns, virtuosité pour les autres.
C’est là que la présente interprétation, sans franchement démériter, ne procure pas toutes les satisfactions espérées. Pour mériter son surnom de « bouche d’or » (Chrysostomos), saint Jean ne devrait-il pas nous éblouir par son éloquence ? Matteo Bellotto a un timbre clair dont on a peine à croire qu’elle pourrait faire trembler une impératrice, là où l’on voudrait une voix plus nourrie, surtout dans le grave. Face à lui, Arianna Vendittelli a elle aussi la voix bien légère : certes, les airs de l’impératrice exigent une grande agilité, mais cette Eudoxie-ci n’a rien à voir avec celle de La Juive : la chanteuse fait de louables efforts pour exprimer tout l’orgueil et toute la rage du personnage, mais on aurait aimé un timbre plus riche dans le médium et des suraigus moins pointus. Le contre-ténor Filippo Mineccia ne trouve guère à employer ses qualités : cantonnés dans le registre de la douceur, les trois airs réservés à l’envoyé de Rome ne lui permettent pas de briller, lui qui s’épanouit si bien dans les « méchants » haendéliens. De Luca Cervoni, on attend moins de brio expressif, puisque ses interventions se bornent, en narrateur, à présenter l’action et à méditer sur son cours ou, en Théophile, à donner de sages conseils. Dans le rôle guère plus exigeant du conseiller ou d’un courtisan, Nora Tabbush n’a à offrir qu’une voix excessivement droite et verte.