« Si j’ai aimé de grand amour, triste ou joyeux, ce sont tes yeux »
C’est à ces vers d’Henri de Régnier – mis en musique par Théodore Dubois – que le nouvel album de Sandrine Piau doit son titre. Accompagnée du Concert de la Loge dirigé par Julien Chauvin, la soprano explore le sentiment amoureux à travers quatorze mélodies : des plus connues, choisies chez Berlioz ou Saint-Saëns, aux plus rares, exhumées pour l’occasion par le Palazzetto Bru Zane.
A l’intelligence de ce programme – qui offre de très belles découvertes – répond une intelligence du chant : Sandrine Piau met sa diction irréprochable au service des textes et des personnages qu’elle incarne. Sans mièvrerie, sans affectation, elle cisèle la ligne de sa voix lumineuse et s’empare de toutes les possibilités expressives offertes par la musique.
On retiendra ainsi tout particulièrement cet « Aimons-nous » de Saint-Saëns aux mélodies sinueuses, l’urgence qui point dans cette « Extase », ou encore le plaisir à dire ce magnifique « Si j’ai parlé » de Théodore Dubois ; mais chaque pièce mériterait qu’on s’y arrête et qu’on salue les couleurs et les intentions qu’y met la soprano. La voix est homogène sur l’ensemble de la tessiture, le phrasé délicat, et l’émotion toujours recherchée, y compris dans le célèbrissime « Plaisir d’amour ».
Quelques réserves, cependant, principalement quant à la prise de son, laquelle n’avantage pas le Concert de la Loge. Si les musiciens offrent un magnifique tapis sonore au texte, si des voix solistes émergent avec talent – le cor et le violon dans la « Promenade matinale » de Bordes ! – et si l’on perçoit une variété de couleurs dans le jeu de l’orchestre, ce dernier est souvent trop en retrait par rapport à la chanteuse. L’équilibre se rétablit parfois, mais on aurait souhaité davantage de matière et ne pas avoir à tendre l’oreille. Il ira de même dans les quatre pièces pour orchestre (« Chanson d’autrefois », « Aux étoiles », la « Valse très lente » et l’extrait de la Symphonie gothique) où les musiciens semblent un peu sur la réserve : avec un tel ensemble, c’est franchement dommage.
N’était ce regret concernant la prise de son, on retient de cet album l’art consommé de la mélodie dont fait preuve Sandrine Piau, idéale dans ce répertoire. On retient également de superbes pièces jusqu’alors méconnues : loin de tomber dans une course effrénée à la redécouverte, les interprètes sont parvenus – dans leur portrait de l’Amour – à dessiner un programme séduisant. Indispensable gageure !