Largement oublié, surtout dans son pays natal, Jean Laffont fut dans les décennies d’après-guerre cette rareté : un chanteur belgo-marseillais. Né près de la Canebière en 1918, il mourut à Bruxelles en 2005, après avoir été un des piliers du Théâtre de La Monnaie de 1949 à 1965, puis de l’Opéra de Gand de 1952 à 1979. Peut-être ces engagements le privèrent-ils d’une carrière plus développée sur les scènes françaises. En proposant une Tosca de concert et une sélection d’airs d’opéra, le label Malibran nous permet de juger si la postérité devra retenir ce nom.
Comme on pouvait s’y attendre, c’est dans le répertoire français que Jean Laffont paraît le plus à sa place. Les extraits proposés sur le deuxième CD sont certes handicapés par des orchestres de seconde zone : l’air de Valentin semble accompagné par une harmonie municipale, le nadir étant atteint avec l’air de Leporello, où ça tangue, ça vasouille, ça grince à qui mieux mieux. Si l’on parvient pourtant à faire abstraction de cet arrière-plan instrumental, qu’entend-on ? Un chant vigoureux et un timbre chaud qui s’imposent notamment pour Athanaël, mais aussi une voix qui, certes puissante, n’hésite pas à pousser, à faire du volume au prix d’un vibrato parfois très prononcé, avec des aigus parfois un peu serrés. Plus de raffinement stylistique n’aurait pas été malvenu parfois, et le grand air du Benvenuto Cellini de Diaz se transforme presque en chansonnette, à cause d’un manque de rigueur rythmique. Pour Le Chemineau de Leroux, il semble qu’on ait affaire à une intégrale (un chœur donne la réplique à Jean Laffont) : s’agirait-il de la bande son du film réalisé en 1961 par l’ORTF ? Peut-être pas, puisque l’extrait se termine par des applaudissements nourris. Voilà en tout cas un enregistrement qu’on souhaiterait pouvoir découvrir dans son intégralité, car l’interprète y paraît très à son affaire.
La Tosca diffusée par la radio en 1964 nous ramène un peu à l’époque où l’Opéra-Comique détenait encore les droits exclusifs de représentation de quelques chefs-d’œuvre de Puccini, dans la traduction de Paul Ferrier qui nous rapproche de Victorien Sardou. Maria Callas a chanté le deuxième acte en version originale au Palais Garnier en 1958, mais peu importe : à Paris, on continue à chanter « Le ciel luisait d’étoiles » plutôt que « E lucevan le stelle ». D’ailleurs, en 1960, Régine Crespin a enregistré en studio des extraits de cette Tosca française, sous la direction de Georges Prêtre, avec Paul Finel en Cavaradossi et René Bianco en Scarpia. La traduction modifie nécessairement l’atmosphère du drame, qui perd de sa sauvagerie pour devenir plus policé. A propos de la prestation de Jean Laffont, on peut répéter ce qui a été dit plus haut au sujet des extraits ajoutés en complément de programme, avec un reproche concernant l’incarnation même du personnage : ce chef de la police ne sonne pas aussi maléfique qu’on l’aimerait, et on voit mal comment ce bon vivant pourrait faire trembler Rome.
Reste à prêter une oreille attentive à l’entourage, avec d’abord des troisièmes rôles parfaitement caractérisés, notamment le Sacristain de René Lenoty et surtout le Sciarrone de Joseph Peyron. Les témoignages de l’art de Christiane Castelli sont suffisamment rares pour qu’on écoute sa Tosca, qui reste en toutes circonstances une très grande dame même si elle est très capable d’émettre le genre d’éructations qu’exige la partition, avec d’impressionnantes et soudaines descentes dans le grave de sa tessiture. Dans les années 1960, Albert Lance était à l’Opéra de Paris LE ténor maison, et cela se comprend sans peine : si le français de cet Australien est parfois un rien exotique, mais à peine, la voix possédait en revanche un éclat et une fermeté enviables, qui lui permettraient aujourd’hui de se hisser au firmament des plus grands artistes internationaux.
Hélas, l’orchestre Radio-Lyrique que dirige Pierre-Michel Le Conte est mis à rude épreuve par l’écriture puccinienne, et la qualité sonore de la bande, parfois très médiocre, n’arrange pas les choses. Cette Tosca-là est donc vouée à rester une curiosité, et à ceux qui veulent savoir ce qu’on chantait alors à Paris et comment on le chantait, on recommandera bien plutôt, pour ses interprètes comme pour son confort sonore, l’intégrale de studio enregistrée en 1961 par le même Albert Lance avec Jane Rhodes et Gabriel Bacquier sous la direction de Manuel Rosenthal, réédité par la BNF.