Alors que le DVD Opus Arte réalisé à partir du même spectacle n’avait que partiellement convaincu, à cause de la production terne de Michael Grandage, la sortie en CD de ce Billy Budd permet d’en évaluer les mérites plus sereinement. Face à une discographie abondante, comment cette version pourrait-elle s’imposer ? Face aux barytons les plus prestigieux (Allen, Hampson, Keenlyside…) et aux ténors les plus subtils (Langridge, Rolfe-Jonson…), quels arguments peut faire valoir le disque en provenance de Glyndebourne ?
On retrouve ici, dans de petits rôles, quelques-uns des solistes de la dernière intégrale en studio, sortie en 2008, qui réunissait Ian Bostridge, Nathan Gunn, Gidon Saks, dirigés par Daniel Harding, chez Virgin : Alasdair Elliott est encore une fois Red Whiskers, tandis que Darren Jeffery passe du Second Mate à Ratcliffe, Matthew Rose, Ratcliffe en 2008, étant promu au rôle de Mr Flint (et l’on note la présence, en ami du novice, de Duncan Rock, graine de Billy Budd). Le live apporte évidemment une certaine vie théâtrale, mais c’est bien sûr au prix d’un certain nombre de bruits de scène (piétinements de l’équipage, surtout). Par ailleurs, et ce n’est pas qu’une affaire de prise de son, l’orchestre sonne un peu flou, Mark Elder ayant apparemment choisi d’émousser les aspérités du discours au lieu de souligner la violence du propos à certains moments clefs. On songe par exemple au tout premier interrogatoire de Billy par Claggart, où les éclats des instruments sont ici très estompés, privés de ce côté cinglant, tranchant, qu’ils peuvent avoir dans d’autres versions.
Même privé de ses atouts physiques de barihunk, le baryton sud-africain Jacques Imbrailo campe un Billy au timbre juvénile et élancé, sans cheveux gris ni bedaine vocale. L’investissement dramatique (en 2010, la critique britannique avait salué sa maîtrise du bégaiement typique du personnage) est sensible malgré l’absence d’images. Quant aux deux autres membres du trio central, le passage du DVD au CD inverse quelque peu les rapports. A l’écran, la basse canadienne Philip Ens, qu’on a pu voir en Arkel dans le Pelléas monté à Vienne par Laurent Pelly, était un Claggart tendu et agressif, mais la voix seule n’a que partiellement la noirceur nécessaire à faire percevoir à l’écoute tout le côté fielleux du capitaine d’armes. En revanche, le Vere de John Mark Ainsley, relégué au second plan par la mise en scène à Glyndebourne, s’impose bien davantage vocalement, grâce à une science de la déclamation servie par un timbre plus séduisant que bien d’autres titulaires.
Enfin, ce n’est qu’un détail, mais c’est un mauvais point : les pochettes en plastique fin dans lesquelles sont glissés les disques se déchirent dès qu’on commence à les manipuler…