Les apparitions scéniques d’Andreas Scholl se font rares, ce qui n’est pas si étonnant de la part d’un artiste pour qui le théâtre n’a jamais vraiment relevé de l’évidence, malgré des progrès incontestables constatés au fil des ans sur le plan dramatique. C’est désormais surtout au concert que se consacre le contre-ténor allemand. A partir de début décembre et pour plusieurs semaines, il se produira en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique et en Angleterre pour assurer la promotion de son nouveau disque, Twilight People, consacré à la chanson traditionnelle et à ses harmonisations par des compositeurs du XXe siècle.
On remarque à ce propos que le programme de cette tournée sera nettement étoffé par rapport au CD, qui ne dure que trois quarts d’heure. Et si sympathique que soit la volonté d’œcuménisme musical qui a fait associer à l’entreprise l’instrumentiste australo-égyptien Joseph Tawadros, ce maître du oud faisant office de guest artist, il n’est peut-être pas défendu de trouver un brin longuette l’ultime plage de la galette, où Andreas Scholl se gargarise du slogan « Beauty Is Life », emprunté à Khalil Gibran, ici inlassablement répété sur une dizaine de minutes, sur fond d’envolées virtuoses du luth arabe. Si l’on défalque aussi les cinq bonnes minutes qu’occupe la chanson inédite du compositeur israélien Ari Frankel, où le texte est psalmodié sur de longues notes tenues, il ne reste plus guère qu’une demi-heure pour les quatre grands ici convoqués : Berg, Britten, Copland et Vaughan Williams. Pour les concerts, auxquels l’oudiste ne participera pas, la pianiste Tamar Halperin, conceptrice du programme et épouse du chanteur, proposera quelques pièces de John Cage pour piano seul, tandis que le contre-ténor ajoutera deux morceaux d’Arvo Pärt, qui auraient pu accentuer encore le côté déjà bien assez planant du disque à ses deux extrémités. On est ici à cent lieues des programmes ultra-virtuoses qu’élaborent les contre-ténors soucieux de briller dans les cascades de vocalises que leur réservaient les opéras du XVIIIe siècle. Twilight People préfère les rondes aux triples croches, et les notes sont ici émises en toute tranquillité. Peace and Love, certes, mais l’apaisement va ici presque trop loin.
Quand Andreas Scholl aborde les compositeurs du siècle dernier, on craint d’abord que l’atmosphère languissante créée par la première plage s’éternise : heureusement, et même s’il s’agit d’une berceuse, chacun des couplets de « The Little Horses » inclut aussi une partie rapide.
Autre problème : l’impression de froideur que crée parfois un chant où les notes fixes semblent un peu tro fréquentes, un comble pour une mélodie comme « The Sally Gardens », dont certains barytons britanniques ont laissé une interprétation qui dégage tant de chaleur, au contraire ! « Greensleeves » convient infiniment mieux à Andreas Scholl, et l’on sent qu’avec cette mélodie de la Renaissance, même harmonisée par Britten, l’artiste se retrouve dans un univers dont il maîtrise à fond les codes. On peut aussi se demander s’il ne s’agit pas d’une plus grande proximité – avec la langue, cette fois – qui lui permet de s’investir davantage dans les lieder d’Alban Berg.
Le livret d’accompagnement, particulièrement avare en informations sur les œuvres interprétées, se contente d’indiquer quelles mélodies ont fait l’objet d’un arrangement (les deux Copland, les trois Britten, et « In the Spring » pour Vaughan Williams). Si les Britten sont relativement fréquentés, Vaughan Williams n’a pas encore hors de Grande-Bretagne la notoriété qu’il mériterait. Une page comme « The Twilight People » devrait pourtant contribuer à le faire apprécier à sa juste valeur, avec sa ligne de chant imprévisible qui commence a cappella avant que le piano finisse par venir y égrener quelques notes, au fil d’un texte dont on regrette qu’il ne soit pas reproduit pour l’auditeur.