Depuis que le label Hortus a entrepris de publier sa série de disques « Les Musiciens et la Grande Guerre », bien des œuvres ont été révélées, dues à bien des compositeurs qui commencent à retrouver un lustre qu’ils n’auraient jamais dû perdre. Cyrille Dubois a su admirablement défendre Lili Boulanger et son cycle Clairières dans le ciel, Marc Mauillon s’est fait à deux reprises l’interprète d’un répertoire international. Premier récital interprété par une voix féminine, Verdun, feuillets de guerre apparaît d’emblée comme une réussite magistrale.
Ce succès tient beaucoup à l’immense talent de Françoise Masset, qu’on se réjouit de voir revenir sur le devant de la scène, après sa participation au disque de mélodies d’après Verlaine enregistrées par Carl Ghazarossian et sa présence sur diverses scènes pour la tournée de La Petite Renarde rusée montée par Louise Moaty. Même si ce volume XVI de la série parue chez Hortus est placé sous l’égide de Marthe Chenal, célèbre pour avoir chanté La Marseillaise enroulée dans un drapeau français, c’est avec une immense délicatesse que Françoise Masset interprète ces mélodies pétries d’une émotion indicible. Mais la soprano sait aussi retrouver cette gouaille qu’une Hélène Delavault avait su mettre au sujet du répertoire populaire lorsqu’il s’agit de chanter les compositions de Vincent Scotto, ou plusieurs autres plages de ce disque qui semblent esthétiquement plus proches du café-concert que des salons. Dans tous les cas, la diction est au-dessus de tout soupçon, et le timbre garde sa fermeté.
Autre clef de la réussite de ce disque, un programme dont on admire à la fois la cohérence et la diversité, puisqu’il se compose exclusivement de pages écrites pendant le conflit, à l’exception de la sublime mélodie de Pierné qui ouvre le récital, « Les Dernières Pensées », publiée en 1921. Avec ses Chansons de la Woëvre, Henry Février incarne ces différentes atmosphères, puisqu’il inclut dans ce cycle aussi bien la gaieté de « Mimi Pinson met sa cocarde » que la mélancolie d’ « Octobre » ; le disque révèle en première mondiale quatre des huits numéros, et l’on espère que les quatre autres suivront bientôt sur un autre volume. De Jacques de la Presle, on découvre le magnifique « O morts », et Alfred Bruneau déploie tout son art dans « Le Tambour ». Jacques PIllois suscite l’intérêt, et le désir d’entendre le reste de ses Feuillets de guerre. Comme à son habitude, Reynaldo Hahn livre de purs bijoux : On retrouve sous un nom un peu différent le très beau « A nos morts ignorés » qui donnait son titre au volume XV enregistré par Marc Mauillon, et l’on souhaite que Hortus nous donne bientôt à entendre le numéro 4 des Cinq Petites Chansons, curieusement exclu du programme. Cyrille Dubois avait révélé le versant comique de Pierre Vellones, Françoise Masset nous le montre sous un aspect plus recueilli.
Pilier incontournable de l’entreprise, déjà présente dans les deux disques réalisés avec Marc Mauillon, Anne Le Bozec n’a pas cette fois de pièce pour piano seul où elle pourrait se faire entendre au premier plan. Elle n’en a cependant pas besoin, tant ses qualités brillent une fois de plus, au détour de telle ou telle mélodie, par la manière dont elle sait caresser le clavier pour accompagner prières et berceuses, ou au contraire le brutaliser pour imiter le bruit de la mitraille.