Le succès mérité du premier album solo de Delphine Galou (Alpha) augurait d’une longue série d’enregistrements : en voilà deux d’un coup ! Galou semble d’ailleurs adoubée nouvelle contralto vedette de la firme Naïve, après des intégrales de L’Incoronazione di Dario et du Giustino de Vivaldi.
C’est encore le Vénitien qu’honore ce disque, et plus particulièrement le versant profane (un autre CD consacré à la musique sacrée sort parallèlement). Et comme d’habitude chez Naïve, qui s’est donné pour mission d’explorer tous les recoins de la production vivaldienne, quelques raretés sont au rendez-vous. De la douzaine de morceaux de La Candace qui ont survécu, nous pouvons ainsi découvrir trois pages inédites, ainsi qu’un air de La Verità in cimento absent de l’intégrale Spinosi et écrit pour l’explosive Antonia Merighi.
Le programme débute néanmoins en terrain connu avec la fameuse cantate Cessate, omai cessate, qui s’est déjà prêtée à des interprétations allant du gentiment arcadien (Scholl) à l’halluciné (von Otter) en passant par le dolorisme de Mingardo ou la rage de Cencic. Parfaite entrée en matière pour célébrer le Prêtre roux, tant ce drame en condense tout l’art en deux récitatifs et deux airs qui exposent d’emblée les limites de l’organe comme les immenses qualités de la musicienne. Galou possède un beau contralto assurément, mais sans la profondeur abyssale qui fascine dans cette tessiture ; le registre de poitrine, bien mat, est peu exploré, mais les moyens sont très intelligemment gérés. Cette faiblesse relative affecte surtout « Nell’orrido albergo », mais on lui pardonne volontiers : outre les moirures du timbre, c’est l’interprète qui passionne, jusque dans de saisissants récitatifs (« A voi dunque ricorro… »), et cette version tient son rang parmi tant de belles références.
On sait aussi la voix fort ténue ; le disque a le bon goût de ne pas lui inventer une ampleur qu’elle n’a pas en respectant un bel équilibre avec l’excellente Accademia bizantina. De légers décalages entre la battue et le chant confère beaucoup de naturel et d’expression à l’ensemble et animent les airs les plus simples qui risquent sans cela de paraître mécaniques. L’osmose est idéale avec Ottavio Dantone, dont le Vivaldi est coloré et rythmé sans sacrifier aux excès de swing et aux effets percussifs parfois infligés à ce répertoire. Écoutez « L’Innocenza sfortunata », déjà révélé par Hallenberg : le travail orchestral est remarquable en termes de dosage rythmique et dynamique, avec des détails instrumentaux soulignés sans ostentation (partie B de l’air). Dans cette page assez grave pour elle, Galou chante – récite, voudrait-on dire – à l’avenant, superbe d’élégance et d’éloquence. Sa palette d’accents et de couleurs élève une sélection qui, passée la première cantate, n’est pas du Vivaldi le plus immédiatement vendeur. Les airs de Tito Manlio sont d’une belle eau mélancolique, les extraits de La Candace et d’Il Giustino aimables ; ce n’est pas le Vivaldi le plus viscéral et enflammé, mais plutôt l’héritier du dramma per musica vénitien du seicento, avant l’explosion de l’opera seria. Le plus pimenté de ces petits tableaux, souvent essentiellement syllabiques, est sans doute « Semplice non temer ». Dans cette aria parlante, la redoutable manipulatrice Damira s’adresse à pas moins de trois personnages, puis s’offre un aparté : on pourra trouver que la contralto française pousse un peu loin les travestissements vocaux pour distinguer tous ces discours, mais c’est diablement efficace. Malgré la subtilité d’une interprète protéiforme, avouons toute de même que le programme manque d’un soupçon de contrastes, et la cantate RV 686, avec ses cors pétaradants et ses vocalises (« Ombre nere »), vient agréablement secouer l’oreille. Cette cantate, à l’instar de la RV 685, n’a aucune substance dramatique mais se veut plus directement séduisante.
Entre ces élégances gratuites, le drame brûlant de la première cantate, et des arias qui, sans être toujours du meilleur Vivaldi, en reflètent bien le théâtre, ce CD constitue un bel hommage au compositeur, qui n’était pas que flamboyance et doubles croches.