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Christophe Rousset : « Le monde de l’art est un facteur de paix dans la cité »

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Interview
13 mars 2017
Christophe Rousset : « Le monde de l’art est un facteur de paix dans la cité »

Infos sur l’œuvre

Détails

Après une magistrale Fairy Queen à Vienne, Christophe Rousset s’est posé à Dijon, où il signe sa première Flûte enchantée. En attendant la publication – imminente – de ses entretiens avec Camille de Rijck, après une répétition, il s’est prêté au jeu des questions-réponses à propos de ce spectacle et de son approche.


Vous avez flirté longtemps avec Mozart et ses contemporains, alors, pourquoi cette Flûte ? Fable ou mystère ?

Le projet de la Flûte est une initiative de Dijon. Tout s’est fait à partir de Dijon. On peut l’aborder de bien des manières, d’un rituel maçonnique à un livre d’images. Laurent Joyeux, directeur de l’Opéra de Dijon, et moi nous sommes entretenus de la vision de la Flûte, ce qui l’a conduit à me suggérer le nom de David Lescot comme metteur en scène, j’y reviendrai. Le casting a été réalisé à Dijon, en cohérence avec les conceptions partagées et la réalisation scénique.

Comment David Lescot aborde-t-il l’ouvrage ?

Nous sommes vite tombés d’accord sur ce metteur en scène, très musicien. Il a une pluralité d’expression, il a une conscience des problématiques actuelles. Sans avoir une vision politique de la Flûte enchantée, il a l’idée d’une catastrophe environnementale que l’on pourrait vivre demain. Le monde des humains, tel que nous le connaissons, est détruit, et nous devons le reconstruire. Son principe de base est que Tamino et Pamina seront en charge de cette mission, seront le relais.

Est-ce un avantage d’avoir affaire à un metteur en scène musicien ? Même si sa culture n’est ni classique ni baroque ?

Il est très respectueux et utilise sa connaissance de la musique pour prendre appui sur la partition. Il n’est pas là avec un texte littéraire, il est sur sa partition, qu’il lit. C’est formidable. En même temps, j’ai vu certains metteurs en scène qui vous disaient ce que vous deviez faire du point de vue de l’interprétation musicale, et c’ est toujours très pénible   Chacun son domaine ! Je veux bien que l’on ait un jeu d’échanges sur l’intention : ce que signifie un début… on est en train de raconter une histoire, avec quelle phrase musicale, quelle répétition de texte. Il y a une synergie possible mais empiéter sur le domaine de l’autre, je m’y refuse. David Lescot et moi-même travaillons dans la même direction : il n’y  a pas un sentiment de vouloir maîtriser, mais plutôt d’œuvrer ensemble, de créer ensemble, de s’amuser ensemble. Il y a quelque chose qui se passe de très fluide entre la mise en scène et  la musique, et en même temps quelque chose de très précis : dans sa mise en scène, il veut, il ne veut pas… il en va de même pour moi. Ainsi tout est clair pour le chanteur qui donne le meilleur de lui-même, je pense, dans une très grande souplesse, sans être jamais contraint. Avec chaque metteur en scène c’est différent. Ce qui est idéal, quand on monte un spectacle avec quelqu’un avec qui on s’entend bien, et c’est le cas, c’est d’avoir un jeu de ping-pong, de pouvoir intervenir et dire « attention, cela est dangereux pour le chanteur ». Il est respectueux de l’acte de chanter, particulièrement quand la difficulté est celle de l’air de la Reine de Nuit. Il ne faut pas perdre le point de vue musical, mettre le chanteur dans des situations compliquées, et c’est un peu mon rôle de garde-fou pour les solistes.

Et la distribution ?

J’aime bien les jeunes chanteurs. Plutôt que de jouer avec des stars, qui vont m’ennuyer, qui vont avoir leurs tics, qui vont savoir mieux que moi comment chanter, je préfère avoir des prises de rôle, donc de jeunes chanteurs, qui ont des voix fraîches, aux capacités vocales parfaites, qui font qu’il y a un vrai enthousiasme. L’énergie de la prise de rôle, l’énergie de la jeunesse, cela me convient très très bien. J’ai déjà eu l’occasion de travailler avec Jodie Devos, avec Julian Prégardien,  que je retrouve avec un grand plaisir. Il y a une puissance incroyable chez Jodie Devos. Elle habite son personnage [la Reine de la Nuit], elle en a toutes les qualités.  Une des grandes caractéristiques des interprètes exceptionnelles est la concentration, et elle fait partie de ces gens- là. Par la force de cette concentration, elle peut mener les choses de façon très étonnante. Il y a une puissance qui se dégage, d’un regard, d’une intonation, d’une attitude physique, tout ça en fait une grande interprète. Tous sont formidables. En très peu de temps, on a réussi à créer un esprit de troupe.

Après 25 ans de Talens lyriques, que pensez-vous du rôle de la musique dans la cité ?

Un artiste a le devoir de faire réfléchir sur notre monde. C’est-à-dire de mettre les œuvres en perspective. Qu’est-ce qui fait que je suis sensible à La Flûte enchantée aujourd’hui, qu’est que ça me raconte de moi et de ma façon d’être au monde ? Je trouve le concept de David Lescot très intéressant.  J’ai envie de raconter combien  la musique, de quelque siècle qu’elle soit, est importante dans nos vies, à partir du moment où j’entends musique avec un grand « M » – je ne suis pas à mettre tout et n’importe quoi sous cette appellation-là  (je parle de la musique sérieuse). La musique savante a quelque chose à nous raconter, c’est quelque chose qui change nos vies, qui nous élève. On parle beaucoup d’élitisme aujourd’hui, on veut faire tomber les élites, on veut discréditer cette idée d’édification. Or je pense que ça a toujours fait partie de l’humanité que de vouloir s’édifier, que de vouloir aller vers le haut, de tendre à une transcendance. Ça s’appelait les Muses chez les Grecs, je pense qu’il est fondamental de garder ces valeurs- là. Ce ne sont pas des budgets extrêmement coûteux pour nos dirigeants. C’est une erreur gravissime que de trancher dans la culture et d’aller plutôt vers la défense, l’armement… Il faut se rendre compte combien le monde de l’Art est un facteur de paix dans la cité. Il ne faut surtout pas compromettre ce qui a été si patiemment mis en place depuis des décennies,  faire tomber  en si peu de temps tout ce qui se passe de productif, de si encourageant dans le monde artistique. Nous avons la chance, en France, d’avoir des structures qui fonctionnent aussi bien, on a généré des vocations, on a formé beaucoup de gens, beaucoup de monde dans les conservatoires. Si on commence à fermer les salles de concert et à trancher dans les subventions, toute une économie est mise en péril et, surtout, une possibilité de s’ouvrir vers cette beauté, vers le monde des Muses, qui vont pleurer à chaudes larmes.

Cet art n’est pas réservé à ceux qui connaissent, chacun peut accéder à ce monde de beauté, de façon simple, sensitive. T@lenschool, conduit dans deux collèges franciliens, le confirme pleinement avec ces jeunes*. Pas seulement en leur faisant jouer de la musique, mais en faisant de la prise de son, du journalisme, à travers plein d’aspects qui sont autant de voies d’accès qui les motivent.

La Flûte s’inscrit dans un projet d’élargissement d’un répertoire, largement entamé, jusqu’où allez-vous nous conduire ?

Dans les faits, j’ai déjà dirigé du XXe siècle, ainsi, Germaine Tailleferre à Limoges, l’année dernière. L’histoire de Tailleferre était un très bel ouvrage à faire, mais c’étaient essentiellement des pastiches, dans un esprit plutôt XIXe que XXe. C’est Médée, de Chérubini, qui a ouvert le champ de répertoire. Jusque-là je n’avais vraiment pas envie dépasser 1800. Médée, bien qu’antérieure à 1800, est une œuvre délibérément romantique et qui m’a fait chercher en moi des ressorts qui étaient un petit peu démesurés pour un claveciniste.  A partir de ce moment-là, j’ai pu diriger une 3e de Beethoven, puis il y a eu la série des « Tragédiennes » avec Véronique Gens, qui m’ont fait aller jusque Saint-Saëns et Massenet. Je peux aujourd’hui me confronter au répertoire du XIXe siècle. Je n’ai pas envie de me limiter, mais, évidemment, je reste avant tout le chef des Talens lyriques, dont le cœur du répertoire est essentiellement XVIIe et XVIIIe siècle.

* Le 23 mars, à Dijon (auditorium), et le 31 mars, à Paris (Conservatoire Claude Debussy, XVIIe) cet orchestre d’élèves de deux établissements franciliens et un chœur de collégiens dijonnais donneront une Flûte (ré)enchantée.

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