Un nouveau numéro de L’Avant-Scène Opéra – le 333e (voir sommaire ci-contre) – accompagne l’exhumation française du Conte du Tsar Saltane, un ouvrage méconnu de Rimski-Korsakov à l’affiche de l’Opéra national du Rhin, du 5 au 28 mai, dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov. Voici cinq clés pour se préparer à une redécouverte prometteuse.
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Il était une fois…
Le Conte du Tsar Saltan (ou Saltane), de son fils, le célèbre et puissant héros, Prince Gvidon Saltanovitch, et de la belle Princesse-Cygne… Le titre complet du dixième opéra de Rimski-Korsakov (sur les quinze que compte son œuvre) ne fait pas dans l’ellipse. Le livret raconte les aventures extraordinaires de Gvidon que son père, le Tsar Saltan, abusé par ses méchantes tantes, jette à la mer dans un tonneau. Echoué sur l’île merveilleuse de Bouâine, le jeune prince libère la ville de Lédenets des sortilèges d’un magicien, et au terme de nombreuses péripéties découvre que la princesse de ses rêves n’est autre que l’Oiseau-Cygne qu’il avait précédemment extirpée des serres du terrible sorcier. Sur ses entrefaites, Saltan débarque, reconnaît son fils et accorde un pardon général. Un festin scelle dans le même temps réconciliations et épousailles. Avec ce livret d’après Pouchkine, motivé par le centenaire de la mort du poète en 1899, Rimski-Korsakov effectue un retour définitif à ses sujets de prédilection, féériques ou légendaires, un moment délaissés pour des arguments historiques (Mozart et Salieri, La Fiancée du tsar…).
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Le vol de Gvidon
La dimension féerique du Tsar Saltan offre à Rimski-Korsakov une nouvelle occasion de parer l’orchestre de couleurs chatoyantes – domaine dans lequel on sait combien il excelle. Comme dans tout opéra russe, le chœur occupe une place essentielle, qu’il s’agisse d’incarner les esprits maléfiques, les nourrices, les courtisans ou plus largement le peuple. L’influence de Wagner se mesure à la quasi absence de numéros isolés ainsi qu’à l’usage immodéré des leitmotivs, vocaux et orchestraux. A défaut d’airs, la postérité a retenu au troisième acte ce tube instrumental – partiellement chanté dans l’opéra – qu’est Le Vol du bourdon, insecte dont Gvidon prend l’apparence pour s’introduire discrètement dans le palais de son père. Prétexte à vélocité, le morceau joué au violon figure dans le Guinness des records pour sa rapidité d’exécution.
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Le chant de la princesse-cygne
Comme beaucoup d’oiseaux à l’opéra, la Princesse-Cygne est un rôle de soprano-colorature. Rimski-Korsakov l’a conçu aux dimensions vocales de Nadejda Zabela-Vroubel, son égérie, également creatrice de Marfa dans La Fiancée du tsar, appréciée du compositeur pour sa voix « lyrique, légère, douce, capable dans une tessiture aiguë de nuances variées et délicates » – écrit Sylvie Mamy dans L’Avant-Scène Opéra. Ces caractéristiques vocales correspondent au profil des héroïnes mises en musique par Rimski-Korsakov, créatures surnaturelles et immatérielles, étrangères au monde des humains, telle Snégourotchka, la fille de neige qui fond à l’arrivée du printemps, où la princesse-cygne du Tsar Saltan qui attend la fin de l’opéra pour se métamorphoser en femme.
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Un opéra pour le Tsar
Le tsar est une des figures récurrentes de l’opéra russe, présente dès les balbutiements du genre – Une vie pour le Tsar de Glinka – jusqu’à la chute du régime monarchique et au-delà, la censure communiste veillant alors à ce que le tsar soit représenté en tyran. Bien que fréquemment invité sur les scènes lyriques, le Petit père de toutes les Russies peut revêtir de multiples visages. Criminel torturé par le poids du pouvoir dans Boris Godonouv, autocrate capricieux et ridicule dans Le Coq d’or, il est dans Le Conte du Tsar Saltan, un personnage facile à manipuler, impulsif mais finalement magnanime. Faible ? Presque si sa tessiture de baryton-basse qu’il partage avec la quasi-totalité de ses congénères ne lui conférait une autorité naturelle, et indiscutable.
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Un chef-d’œuvre russe
Digne représentant de l’opéra russe, par sa musique mais aussi par son sujet inspiré d’un conte de Pouchkine connu de tous les enfants du sud du Caucase jusqu’au nord de la Sibérie orientale, le Tsar Saltan n’est pas une œuvre qui traverse aisément les frontières. Créé à Moscou en 1900, Paris a attendu 1928 pour le découvrir, mais en version de concert – l’année suivante dans une mise en scène de Nicolas Evreïnov au Théâtre des Champs-Elysées. Depuis rien, ou presque sur le front occidental : Dresde en 1977, Berne en 1982, Milan en 1988, Berlin en 1998, Bruxelles en 2019…. C’est maigre. Aucune version discographique de l’œuvre n’a vu le jour depuis 1959. La vidéographie ne compte que deux références, la dernière captée en 2015 au Mariinski. C’est dire si la production strasbourgeoise, déjà présentée à Bruxelles en 2019 (et reprise la saison prochaine) fait figure d’événement, en dépit d’un contexte économique difficile qui a contraint l’Opéra national du Rhin à réduire le nombre de représentations.