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Cinq clés pour Written on Skin

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Actualité
11 novembre 2013

Infos sur l’œuvre

Détails

Longtemps connu des seuls amateurs de musique contemporaine, George Benjamin a été propulsé sur le devant de la scène par le succès planétaire de son premier opéra, Written on Skin, créé à Aix-en-Provence en juillet 2012, où la barbarie (meurtre et cannibalisme) s’entrelace à un triangle amoureux des plus traditionnels, où les anges se mêlent aux hommes, où les personnages agissent et se regardent agir. Alors que la production initiale passera bientôt par la capitale, le public dispose d’un luxe rare d’outils lui permettant de se préparer à la découverte d’un opéra contemporain. Le label Nimbus a récemment fait paraître un enregistrement réalisé à partir de deux captations réalisées par Radio France, l’œuvre a été diffusée par Arte et une représentation filmée à Londres en mars dernier devrait prochainement paraître en DVD chez Opus Arte. Surtout, L’Avant-Scène Opéra consacre à Written on Skin son tout dernier numéro, où l’on trouve l’habituel et toujours précieux « Guide d’écoute », ainsi que divers angles de lecture de l’œuvre. Vous n’aurez donc aucune excuse pour ne pas apprécier à sa juste valeur l’opus de George Benjamin que l’Opéra-Comique propose pour trois représentations, les 16, 18 et 19 novembre.

 

1 – Un sujet : le cœur mangé

Selon la biographie romancée qui figure en tête d’un recueil de chansons, le troubadour Guillem de Cabestany aurait eu une liaison avec Sauremonde, la jeune et belle épouse de Raymond de Castel-Roussillon. Cet adultère du XIIIe siècle connut une fin plus proche de Dante que de Feydeau, puisque le mari trompé commença par tuer l’amant, auquel il fit couper la tête et surtout arracher le cœur, organe qu’il servit ensuite en ragoût à sa femme. Quand Raymond révéla à Sauremonde qu’elle venait de manger le cœur du troubadour, la malheureuse jura ne plus jamais manger autre chose et courut se jeter du haut d’un balcon, préférant se donner la mort plutôt que de succomber aux coups de son époux furieux. Si c’est ce récit qui est à l’origine de Written on Skin, l’idée du cœur dévoré était déjà présente dans la littérature : dès 1175, on peut voir dans un Roman de Tristan Iseult chanter l’histoire de Guirun à qui advint la même mésaventure. Boccace en inclut une version dans son Décaméron. Dans Le Rouge et le noir, Madame de Rênal « se figurait sans cesse son mari tuant Julien à la chasse, comme par accident, et ensuite le soir lui faisant manger son cœur », et elle est loin d’être la seule dans l’histoire de la littérature occidentale.

 
2 – Un librettiste : Martin Crimp
Ce sujet ayant été porté à son attention par sa fille, le dramaturge britannique Martin Crimp entreprit d’un tirer ce qu’il refuse de qualifier de « livret », préférant l’appeler simplement « texte ». Une première modification fut de transformer le troubadour en enlumineur : cette métamorphose « évite le problème d’un personnage déjà ‘musical’ en soi et apporte le potentiel imaginaire – au sens premier du terme – de l’art de l’enluminure » (Pierre Rigaudière). Dans Written on Skin, titre qui fait référence à l’écriture sur parchemin, « le Garçon » est introduit chez « le Protecteur » afin d’orner un livre de miniatures représentant « la vie à venir, les hauts-faits des anges, les tombes qui s’ouvrent, les damnés enfournés à la pelle, les justes au Paradis » ; Agnès, seul personnage gratifié d’une identité, lui demandera à son tour « d’inventer une femme dont le cœur s’en fendu à la vue d’un garçon ». Le Garçon décrit ses créations dans ses monologues, « une œuvre de miséricorde » à la scène 2, « une maison en hiver » à la scène 6. Mais cet amant tué par le cocu est aussi et surtout un des trois Anges qui commentent l’action tout en y participant discrètement, comme ces personnages ajoutés en contrepoint dans les marges d’une enluminure médiévale. Et comme si tous les protagonistes étaient morts et revivaient leur propre histoire, ils en sont à la fois les acteurs et les narrateurs, d’où ces formules récurrentes dans leur discours, par lesquelles ils précisent qu’ils sont en train de parler (« says the Protector », « says the Boy »…) ou en train d’agir, leur propre parole se substituant aux didascalies (Agnès chante ainsi au début de la scène 4 « La femme enlève ses chaussures / avance / à travers une fente dans la pierre / monte / en colimaçon l’escalier de pierre / à pas feutrés / pénètre dans l’atelier d’écriture… »).
 
3 – Un compositeur : George Benjamin
Même si on ne l’appelle pas livret, le texte de Written on Skin a bel et bien été délibérément écrit pour servir de support à une œuvre qui est bien un opéra, et qui marque la deuxième collaboration de Martin Crimp avec son compatriote George Benjamin. Né en 1960, élève d’Olivier Messiaen, Benjamin a attendu 2012 pour composer son premier véritable opéra. Dès 1981, il s’était pourtant intéressé à la musique vocale, avec A Mind of Winter, pour soprano et orchestre, d’après un texte de Wallace Stevens. C’est néanmoins en 2006 seulement qu’il se risque à l’opéra de chambre, déjà sur un texte spécialement écrit par Martin Crimp, Into the Little Hill, conte lyrique pour deux voix et ensemble, commande du Festival d’Automne à Paris. Déjà il s’agissait d’une légende médiévale revue par un œil moderne, puisque c’est au Joueur de flûte de Hamelin que renvoie cette partition d’une durée d’une demi-heure. Partisan comme son librettiste d’une distanciation brechtienne, Benjamin donne à son opéra de chambre « un dimension quasi liturgique, afin d’éviter le piège de la psychologie, de l’illustration ou des conventions dramatiques : il n’y a pas de personnification des voix, et l’œuvre se termine par un anti-climax » (Philippe Albéra).
Commande de Bernard Foccroulle pour le festival d’Aix-en-Provence, Written on Skin accepte en revanche le principe de personnages, même avec l’effet de mise à distance permis par l’inclusion des incises et des didascalies mentionnée plus haut ; le trio central que constituent le mari, la femme et l’amant se compose d’êtres passionnés dont le devenir suit une trajectoire puissamment dramatique. A ce texte répond une écriture orchestrale finement dosée (les chanteurs sont constamment intelligibles et sont rarement sollicités hors de leur zone de confort ; Benjamin a longuement travaillé en amont avec les interprètes prévus pour la création afin de tirer le meilleur parti de leurs possibilités).
 
4 – Une metteuse en scène : Katie Mitchell
Le fruit des efforts conjugués de Martin Crimp et George Benjamin fut présenté au public le 7 juillet 2012, dans une production confiée à une autre Britannique, Katie Mitchell, dans des décors et costumes de Vicki Mortimer. Le premier opéra auquel Katie Mitchell s’est attaquée était Don Giovanni en 1996 à Cardiff ; après un détour par Janacek, elle a réalisé un film d’après The Turn of the Screw de Britten, puis a monté Al gran sole carico d’amore, de Luigi Nono, pour le festival de Salzbourg en 2009. Sa collaboration avec Martin Crimp remonte à 2000, et elle a travaillé sur plusieurs de ses textes, ainsi que sur ses traductions-adaptations d’auteurs étrangers (elle mettra prochainement en scène Così fan tutte à l’ENO, dans une version anglaise de Martin Crimp).
Ce que donne d’abord à voir Written on Skin dans la production de Katie Mitchell, c’est une scénographie subdivisée en lieux multiples, permettant des actions parallèles : au centre, le décor de l’action principale, décor sombre et sobre mais sans rien de médiéval, intérieur qui se prolonge en une forêt ; sur les côtés, et au-dessus, le décor « marginal », d’un blanc éclatant, éclairé par des néons, où évoluent les anges, avec notamment un escalier que gravira Agnès pour son suicide final. Dans ce décor « simultané », les costumes renvoient à un vague Moyen Age brunâtre pour le trio central, à notre époque pour les anges et pour John et Marie. Toutes les illustrations de l’Avant-Scène Opéra proviennent des différentes représentations de la production Mitchell.
 
5 – Une œuvre capitale
Dès la première représentation, Written on Skin fut unanimement salué par le public et par la critique. Dans Le Monde, Renaud Machart écrivait : « La musique est hallucinante de beauté, de prodiges d’écriture, de textures nervurées, de couleurs subtiles. Written on Skin se situe au plus haut de la production contemporaine ». Dans Le Figaro, Christian Merlin renchérissait : « On quitte la salle tellement sous le charme que l’on ne peut réprimer la vague impression d’avoir assisté à l’éclosion d’un chef d’œuvre ». Bien avant de lui consacrer un volume à part entière, Chantal Cazaux rendait compte de cette création dans le numéro de septembre 2012 de L’Avant-Scène Opéra : « des textures toujours sensitives (voix cristallines ou âpres, orchestre de soie ou de broyeur, déflagrations ou irisations…), un langage prenant qui assume le meilleur de l’héritage lyrique ».
Le spectacle partit bientôt en tournée internationale, comme le prévoyait l’accord conclu avec les divers coproducteurs : Toulouse en novembre, Amsterdam en octobre, puis Londres en mars 2013, Vienne en juin, Munich en juillet, Tanglewood en août, et enfin Paris en novembre. La distribution aura parfois varié (Bejun Mehta a renoncé au rôle après les représentations de Londres et sera remplacé par Iestyn Davies à Vienne, à Munich et à Paris ; Christopher Purves et Barbara Hannigan, présents à Paris, cédèrent parfois la place à d’autres artistes), mais le spectacle perdure. A signaler, une nouvelle production, très différente dans ses choix esthétiques, a vu le jour en septembre dernier à Bonn, sans aucun des interprètes de la création. Pour juger sereinement des mérites de cette œuvre, on ne saurait trop recommander l’écoute de la musique seule, comme le permet désormais l’intégrale publiée par Nimbus.

 

L’Avant-Scène Opéra, Written on Skin– N° 276 (plus d’informations)

Written on Skin, Mahler Chamber Orchestra, direction musicale George Benjamin; suivi de Duet pour piano et orchestre, avec Pierre-Laurent Aimard. 2 CD Nimbus NI 5885/6, 90’38 (Written on Skin) + 12’05 (Duet)

Written on Skin, opéra en trois parties de George Benjamin sur un texte de Martin Crimp, 2012, introduction à l’œuvre par Agnès Terrier 40 minutes avant chaque représentation, du 16 au 19 novembre 2013, Salle Favart (plus d’informations)

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