Il a reçu le prix de l’AROP du meilleur chanteur pour la saison 2010/2011, Alain Duault lui a déjà consacré un reportage sur France 3 et il ne quitte pas la scène de l’Opéra de Paris (il sera le Médecin dans Le Diable dans le beffroi/La Chute de la Maison Usher*, deux opéras inachevés de Claude Debussy que propose l’Opéra de Paris en alternance avec Pelléas et Mélisande). Pour le jeune baryton français Alexandre Duhamel, les choses vont vite et il ne s’en plaint pas. Au contraire, avec lucidité et les pieds sur terre, il dresse un portait de lui-même honnête et sincère en cinq questions.
Vous venez de passer deux ans au sein de l’Atelier Lyrique de l’Opéra national de Paris. Que retenez-vous de cet apprentissage ?
Ces années au sein de l’Atelier Lyrique furent d’une immense richesse. Le jour où son directeur Christian Schirm m’a annoncé que j’allais en faire partie reste encore aujourd’hui comme un moment inoubliable. J’en suis sorti grandi. J’y ai aiguisé mon sens musical. Cette formation a développé chez moi une forte exigence personnelle. Je m’enregistre par exemple beaucoup quand je chante, afin de m’approcher le plus possible du son, de la nuance ou de la couleur que je souhaite. Il vous suffit souvent de vous écouter pour faire la différence. Ceci permet de voir ce qu’il faut changer pour arriver à un niveau professionnel. On m’a offert rapidement une belle occasion de me confronter à la réalité du métier en me proposant en 2009 d’être la doublure de Franck Ferrari dans Mireille de Gounod. Ce fut une formidable expérience ! D’autant plus que le personnage d’Ourrias est un rôle que j’adore. Mes premiers mots à l’Opéra de Paris furent chantés dans les coulisses de l’Opéra Garnier, au sixième étage face à un mur à un centimètre de ma bouche (Rires). Il s’agissait de faire entendre l’écho du personnage. Nous avons aussi monté de nombreuses productions avec l’Atelier lyrique. J’ai tout de suite appris à connaître comment fonctionnait l’institution. Le premier spectacle que nous avons joué fut Les Troqueurs d’Antoine d’Auvergne à l’Amphithéâtre Bastille. Puis nous avons enchainé avec Mirandolina, une création de Bohuslav Martinu. Comme j’avais souvent un rôle important, c’était agréable d’alterner petit rôle sur la grande scène et « grand » rôle avec l’Atelier. Je garde de même un grand souvenir de L’Heure espagnole de Ravel (j’interprétais Ramiro). Être chanteur implique de nombreuses exigences qu’il faut s’imposer. L’Atelier lyrique m’a aidé à en prendre conscience. C’est dans les prochaines années qu’il faudra prouver quel artiste je souhaite réellement devenir.
En tant que jeune chanteur, quelles exigences faut-il justement s’imposer ?
Être chanteur demande un travail quotidien sur la technique vocale et sur le corps. Plus on avance, et plus cela devient difficile. Il faut connaître chaque détail. C’est eux qui font la différence. La technique est aussi importante que le mental. Pour véritablement avancer, il ne faut compter que sur soi-même en devenant son propre critique. C’est ce que j’admire chez les grands chanteurs. Roberto Alagna sait par exemple parfaitement ce qu’il fait sur scène : ses épaules et son corps sont toujours détendus, sa gorge est grande ouverte et sans tension… On apprend énormément au contact de ces chanteurs. Lors de la production de Werther, je n’avais qu’un seul mot à dire. J’en garde pourtant un immense souvenir, car j’avais autour de moi Jonas Kauffmann, Ludovic Tézier et Alain Verhnes. Autant dire une encyclopédie de la technique vocale ouverte en permanence ! J’ai eu plusieurs conseils de leur part avec une vision différente pour chacun. Le chant est la recherche permanente de l’équilibre. Alain Verhnes m’a profondément fait comprendre à quel point le fait d’être dans le sens de chaque mot était primordial. Ludovic Tézier m’a expliqué que selon lui, chaque son devait prendre la forme d’une perle qu’il faut enfiler afin de créer un collier où tout doit être à sa juste place. J’ai toujours ses mots dans la tête. J’avais peur au début d’être trop naïf, mais il existe pourtant une vraie et belle solidarité dans la famille du chant français. Je ne ressens pas de conflit d’égo ou autre. Je ne m’attendais pas à autant de générosité et de gentillesse de la part de ces artistes. Il faut aussi dire que nous avons la chance d’avoir un répertoire français dense et inoui. Massenet, Gounod, Bizet ou encore Saint-Saëns… Ils ont été très généreux avec les barytons qui plus est ! J’adore aussi le répertoire italien, mais les rôles de baryton français sont particulièrement humains, que cela soit celui de Sancho, Athanaël ou Zurga dans Les Pêcheurs de Perles. C’est aussi à nous de défendre le répertoire et d’avoir une diction exemplaire. J’ai aussi eu la chance de travailler avec des chefs d’orchestre formidables comme Philippe Jordan, Daniel Orren, Carlo Rizzi, Marc Minkowski, Alain Altinoglu ou encore Michel Plasson. La couleur que ce dernier est arrivé à insuffler lors de son Werther fut un travail particulièrement émouvant. Sa gestuelle était incroyable : il étirait les phrases jusqu’au bout, il y avait une vraie osmose avec l’orchestre. Cette production demeure l’un de mes plus beaux souvenirs d’opéra. On a rarement la vision d’un cinéaste à l’opéra et la mise en scène de Benoit Jacquot était simple et bénéficiait d’une vraie direction d’acteurs.
Comment cette passion pour l’opéra vous est-elle venu ?
Beethoven m’a ouvert très jeune les portes du classique, suivi de compositeurs romantiques tels que Chopin ou Brahms. J’ai découvert l’opéra en écoutant Pavarotti. Le chant lyrique fut une révélation. Après le Bac, je voulais déjà faire du chant, mais je savais que cela allait entrainer beaucoup de risques et de sacrifices. J’ai donc fait au préalable des études de journalisme à la fac. J’ai ensuite commencé mes cours avec Yves Sotin à Saint-Maur-des-Fossés. Il m’a véritablement ouvert la voie. Je travaillais ténor à l’époque et lorsqu’il m’a demandé si je souhaitais être un mauvais ténor ou un bon baryton. Je vous laisse deviner ma réponse ! Deux ans après, j’ai intégré la classe de Malcolm Walker au CNSM. Aujourd’hui, la veille d’un spectacle, je suis chez moi à 18h et je me couche à 22h. Il faut respecter une certaine hygiène de vie quand on est chanteur : boire de nombreux litres d’eau par jour, entrainer son endurance pour être le plus dynamique possible et travailler sa voix tous les jours. Le but est de devenir son propre professeur. Pour mettre de l’âme dans son chant, tous les moyens sont bons, tout comme aiguiser sa curiosité en allant au cinéma, au musée ou en écoutant beaucoup de musique. J’ai de même pris des cours de théâtre basés sur la méthode Stanislavski. C’était passionnant, avec tout un travail autour de la mémoire. Il faut être très rigoureux pour être un bon acteur. Au Conservatoire, j’avais aussi des cours de théâtre où nous faisions des improvisations. À l’opéra, il ne faut surtout pas tomber dans les stéréotypes. C’est ce qu’arrive très bien à faire Bryn Terfel. C’est lui qui m’a permis d’accepter d’être baryton alors que j’admirais jeune les ténors (Rires). Il parvient à tout s’approprier ! Il est un Don Giovanni noir et bestial tout comme un tendre et amical Leporello. J’écoute aussi beaucoup Piero Cappuccilli et Giorgio Zancanaro dans le registre italien, mais aussi des chanteurs français tels Alain Fondary avec qui je travaille, Ernest Blanc ainsi que bien entendu Ludovic Tézier.
On connaît les aléas liés à la production de Faust à laquelle vous avez participé dans le rôle de Wagner. Comment avez-vous vécu ce moment de tension ?
Je me suis senti très chanceux de travailler avec deux grands chefs sur une même production : d’abord avec Alain Lombard, ensuite avec Alain Altinoglu, qui est d’une grande patience, très accessible, et qui a instauré très vite un vrai climat de confiance. Nous avons tous été assez stressés par les mouvements de grève. Heureusement que les retransmissions audiovisuelles ont eu lieu ! Rendre l’opéra accessible et populaire est très important. Ceci dit, ces grèves m’ont permis de chanter en version concert. Le résultat est complètement différent ! Cela entraine le public à être plus à l’écoute de la musique et des chanteurs.
Et après ?
J’ai déjà pu chanter cette année Wagner dans Faust de Gounod à l’Opéra de Paris. Je continue dans cette maison cette saison avec Manon, Rigoletto et L’Amour des trois Oranges. Il y aura aussi La chute de la maison Usher à l’Amphithéâtre Bastille. Mon grand rendez-vous cette année est à Metz dans le rôle de Valentin (Faust). J’essaye pour le moment de suivre un fil conducteur cohérent en commençant par les rôles de jeune baryton. Il y aura aussi Mercutio (Roméo et Juliette) à Avignon et Moralès (Carmen) à Paris. J’ai pour le moment une perspective d’avenir rassurante. Grâce à l’Opéra de Paris, je bénéficie d’une « douce » exposition qui me permet de me construire et d’avoir une magnifique carte de visite. Je ne suis pas pressé et souhaite progresser afin d’arriver à une maturité vocale. Un baryton lyrique s’émancipe vraiment vers l’âge de 35-40 ans. Je ne veux pas bruler les étapes.
Propos recueillis à Paris par Edouard Brane le 6 octobre 2011
* Claude Debussy : Le Diable dans le beffroi/La Chute de la Maison Usher, Opéra national de Paris, du 29 février au 5 mars 2012 (plus d’informations)
Alexandre Duhamel © DR